Scientific MOOCs follower. Author of Airpocalypse, a techno-medical thriller (Out Summer 2017)


Welcome to the digital era of biology (and to this modest blog I started in early 2005).

To cure many diseases, like cancer or cystic fibrosis, we will need to target genes (mutations, for ex.), not organs! I am convinced that the future of replacement medicine (organ transplant) is genomics (the science of the human genome). In 10 years we will be replacing (modifying) genes; not organs!


Anticipating the $100 genome era and the P4™ medicine revolution. P4 Medicine (Predictive, Personalized, Preventive, & Participatory): Catalyzing a Revolution from Reactive to Proactive Medicine.


I am an early adopter of scientific MOOCs. I've earned myself four MIT digital diplomas: 7.00x, 7.28x1, 7.28.x2 and 7QBWx. Instructor of 7.00x: Eric Lander PhD.

Upcoming books: Airpocalypse, a medical thriller (action taking place in Beijing) 2017; Jesus CRISPR Superstar, a sci-fi -- French title: La Passion du CRISPR (2018).

I love Genomics. Would you rather donate your data, or... your vital organs? Imagine all the people sharing their data...

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Ethique et transplantation d'organes : le point de vue de Michel Raoult (Ligue Rein Santé)

Michel Raoult, transplanté rénal, est le fondateur du portail d'information Ligue Rein Santé, dédié aux maladies rénales et diabétiques. Ce site est plébiscité par de nombreux médecins et professeurs hospitaliers, néphrologues et spécialistes du diabète. L'info objective, la bonne, au bon moment, tel est le crédo de ce portail d'information. La revue Reins Echos rassemble des interviews, reportages, témoignages, articles d'investigation : "Parce que l'insuffisance rénale, la néphrologie, les maladies rénales et diabétiques, les traitements et les soins, touchent de plus en plus de personnes (+ 4 à 5 000 nouveaux cas/an), nous avons pensé à nous les faire mieux expliquer. Ainsi, Rein échos est une revue semestrielle et gratuite distribuée en nombre (15 900ex), dans les unités de dialyses, les hôpitaux transplateurs, auprès des réseaux de santé néphrologie et des associations d'autodialyse régionales. Les auteurs sont bénévoles au même titre que les membres de l'association réalisant la revue ; mais également vos distributeurs tous bénévoles. Une chaîne de bonnes volontés dont nos lecteurs bénéficient. La gratuité est réalisée à partir de sponsors qui soutiennent notre travail, actuellement : Amgen, Aura Paris, B. Braun Avitum, BMS, FMC Néphrocare, Genzyme. G. Pons. Novartis."
Il y a quelques jours, M. Raoult m'a fait parvenir cet émouvant message et je l'en remercie.

Bonjour Catherine,
J'ai lu votre prose sur Agora Vox, sur le fond et sur votre blog il y a de bonnes choses, mais votre croisade ne peut être bien perçue que par les bien portants, car si vous êtes concernée par un besoin de greffe d'organes, on ne peut pas vous comprendre, être greffé c'est retrouvé la vie pour les malades.
Ce qui peut nous gêner tous ce sont les organes donnés à qui en demande, venu d'ailleurs (je ne parle pas des enfants mais de ressortissants étrangers) qui ont souvent des chances de gâcher l'organe par une mauvaise hygiène de vie où un mauvais suivi de leur greffe.
Si la transplantation restait en France, destinée aux Français de souche, il n'y aurait pas de pénurie et donc de greffe "à coeur arrêté" et un besoin d'organes au-delà de nos limites. Les ressortissants étrangers ou des Dom Tom avec des pathologies diverses lourdes sont majoritaires sur la liste de greffe des grandes villes.
Alors moi cela me gêne cet appel à des dons irraisonnés, l'Angleterre est dans le même cas, à Londres la population est devenue majoritairement issue de pays étrangers.
C'est pourquoi sans tomber dans la xénophobie, mais conscient des réalités non dites, je trouve votre croisade intéressante mais je vous incite à la moduler de paramètres existants et contraignants comme ceux que je viens d'exposer. Si on considère que la CNAM n'a plus assez d'argent pour nous soigner, il faut en déterminer les causes et s'y attaquer de pied ferme (quelles que soient ces causes).
Pour les reins, si nos centres de dialyse étaient au top, on pourrait retarder les besoins de greffe. Ce qu'il faut est que la recherche avance plus vite et le problème sera résolu avec des organes créés de toutes pièces avec des cellules souches. Etant directement concerné par la plus simple des greffes et voyant comment cela se passe, je pense qu'à trop généraliser la greffe vous vous trompez de cible, le problème est vaste et les différences notoires. Pour certaines personnes il n'y a pas le choix, elles sont jeunes et on n'a que le choix de les greffer de suite ou elles meurent.
Aujourd'hui ce que l'on peut reprocher est que l'on greffe des reins "limite" [greffons dits "dérogatoires", c'est-à-dire en mauvais état de fonctionnement, Ndlr.] sachant qu'avec les médicaments on pourra les faire tenir quelques temps. Ces opérations pour pas grand-chose (mais importantes pour les malades) font qu'avec la baisse des accidents de la route on est en pénurie de reins (l'organe le plus greffé).
Dans un contexte de pénurie il faut des mesures saines et ne pas raccourcir pour autant la durée de vie humaine, donc travailler mieux en amont pour ralentir les maladies (prévenir le diabète par exemple, "mal-bouffe"), faire avancer la recherche plus vite, ne pas vouloir pour autant soigner toute l'Europe, le Maghreb et l'Afrique ; donc pour moi l'éthique là-dedans est secondaire. Il y aura bientôt 10 millions de personnes en affection de longue durée (sur 60 millions) et il va falloir trouver des remèdes sinon effectivement le trafic d'organes sera prospère.
Voilà les points que nous avons en différence quand je vous lis, il ne faut pas culpabiliser les médecins de faire leur travail, il faut apporter des solutions nouvelles, il y a un vrai problème, dans ce cas à chaque problème sa solution. Aidez-nous Catherine à mettre en oeuvre une solution pour sortir de l'impasse où on avance tous les jours un peu plus.

Mon commentaire : jusqu'à ce que les solutions alternatives à la transplantation d'organes et de tissus soient mises en application sur les patients (traitements grâce aux cellules souches), le marketing social du Don sera un discours pérenne. Les laboratoires pharmaceutiques, qui vivent une véritable crise (pénurie) de molécules innovantes, continueront bien entendu à vendre des médicaments immunosuppresseurs le plus longtemps possible.

Ethique et transplantation d'organes : le point de vue du Pr. Bernard Devauchelle (CHU d'Amiens)

"Professeur de médecine français, chef du service de Chirurgie Maxillofaciale du CHU d’Amiens, le professeur Bernard Devauchelle est membre de nombreuses institutions scientifiques et membre associé de l'Académie Française de Chirurgie. Il siège dans le comité éditorial de plusieurs revues internationales. Avec son équipe, dont Sylvie Testelin du CHU d'Amiens et Benoit Lengelé de l'Université Catholique de Louvain, il a réalisé le 27 novembre 2005 la première greffe partielle du visage sur une femme de 38 ans, défigurée par son chien : Isabelle Dinoire, de Valenciennes, ne pouvait plus ni manger ni parler normalement depuis qu'elle avait été mordue par son labrador. Elle a reçu une partie de visage d'une femme de Lille qui s'était suicidée quelques heures auparavant. Sa famille avait donné son accord après que les médecins l'avaient déclarée en état de "mort cérébrale". Le greffon comprenait, outre de la peau intacte, le nez, les lèvres, le menton, ainsi que les muscles, les artères et les veines. Le magazine économique Challenges du 31 août 2006 dans son palmarès des '100 personnalités mondiales dont l'action, les convictions ou les intuitions influent sur la marche du monde' fait figurer parmi les 10 scientifiques retenus, Bernard Devauchelle avec le commentaire suivant: 'Lui c'est la face des gens qu'il change'." (Wikipedia)
"Que diriez-vous à quelqu'un qui hésite à donner ses organes ?"
Professeur Bernard Devauchelle : "Rien. Je l'inviterais à venir avec moi pour voir des gens vraiment défigurés. Quelqu'un qui refuse le don d'organes, c'est quelqu'un qui se voile la face, qui cache sa tête comme l'autruche !" (12/04/2009, La Voix du Nord).
Un discours sur le Don d'organes qui se résume à de la promotion, agrémentée d'un jeu de mots fort à propos pour un spécialiste de la transplantation faciale ? Pas vraiment. Le discours public sur le don d'organes (faut-il parler de don ou de sacrifice ?), les prélèvements "à coeur arrêté" (on dit que le donneur est mort, mais quelles réalités recouvre ce mot, cette "règle du donneur mort" au juste ?), le trafic d'organes, mon appel aux chirurgiens transplanteurs, les aspects positifs de la greffe de la face, mais aussi les périls qui la guettent : j'ai voulu poser toutes ces questions au professeur Devauchelle, et lui parler de mon activité de médiation éthique (depuis mars 2005) entre les personnels de santé, usagers de la santé, politiques, proches confrontés à la question du don d'organes ...
Voici sa réponse. Les mots ne sont rien, c'est d'être à la hauteur de ses mots qui est difficile, disait l'écrivain autrichien Robert Musil. A plusieurs reprises, le pionnier de la greffe du visage s'est dit "habité par l'éthique, à chaque instant". Il le prouve ici, et nous dit comment :
"Quelle légitimité avons-nous [les chirurgiens transplanteurs] pour parler de la transplantation et donc du don d'organe ? Quelle légitimité avons-nous pour parler également de 'l'euthanasie' ? Aucune autre que celle qu'en tant qu'individu nous pouvons être chacun d'entre nous le sujet du débat.
Au nom de qui, au nom de quoi notre parole aurait plus de poids, ferait-elle davantage autorité ? Telle est la première question que, de manière un peu provocatrice, je nous retourne.
Encore faudrait-il alors que chacun se taise, rétorquerait-on.
Il en est de la transplantation d'organe comme de la bombe atomique : il s'agit in abstracto d'un progrès scientifique. Mais quel usage fait-on de ce progrès ?
Faut-il, en matière de transplantation que le colloque singulier (cette relation particulière du médecin et de son malade) soit le seul lieu de réponse ? Ou faut-il que du débat public des règles s'inscrivent ? Le jeu démocratique y superposera ses propres règles.
Le débat est biaisé, pensez-vous. Par le côté partisan et l'opacité du langage médical, sans doute ; par des considérations d'ordre économique et une 'bien pensance' politique, également.
Mais sur de tels sujets le débat peut-il être transparent totalement ? Et chacun est-il prêt à entendre la vérité ? Et dans l'inconnaissance profonde dans laquelle nous nous trouvons, scientifiques et non scientifiques, la vérité de l'un ne peut être celle de l'autre. Dès lors, les questions que vous posez, nombreuses, trop nombreuses, pertinentes et trop pertinentes, ne relèvent-elles pas davantage de la philosophie ? Elles resteraient alors sans autre réponse qu'à redonner à l'individu sa liberté, donc sa responsabilité.
C'est ce qui, fort heureusement, prévaut la plupart du temps en France en matière de 'Don d'organe' (mot abusif, j'en conviens comme vous), même si l'on pointe dans les discours officiels ou les situations particulières des déviances insupportables.
Qui est donc prêt aujourd'hui à accepter cette part d'inconnaissance ? Faut-il penser, comme certains comités d'éthique, qu'elle devrait interdire toute initiative ? Ou bien, à l'instar de Jean-Luc MARION, faut-il revendiquer ce privilège d'inconnaissance, cette pudeur qui nous invite à ne pas vouloir tout comprendre ? Sans pour autant nous faire renoncer à agir. Je souscris volontiers à cette posture et j'en assume, à titre personnel, la responsabilité des conséquences qu'elle peut entraîner.
J'aurai donc plaisir à partager avec vous plus avant sur ce sujet et sur les autres sujets que vous évoquez dans votre mail, même si mes disponibilités sont comptées. Puis-je vous suggérer la lecture d'un papier commis dans 'Ethique des pratiques en chirurgie', paru chez L'Harmattan, celle de l'ouvrage : 'La fabrique du visage', paru chez Brepols ? Je vous informe que nous organisons en 2012 un colloque d'une semaine consacré à la transplantation, qui se tiendra dans le cadre des semaines de Cerisy-la-Salle." Propos recueillis le 16/08/2010. 
Merci au professeur Devauchelle pour cette réponse, ainsi que pour les pistes de réflexion en sciences humaines et sociales sur la transplantation faciale indiquées ce matin. Je n'ai plus qu'à rédiger 46 articles sur AgoraVox, le journal citoyen en ligne, dans le but d'explorer ces pistes et voir comment le grand public réagit. Oui, la solution chirurgicale pour éviter la défiguration qui exclue et qui conduit à se donner la mort est possible (cf. l'affaire Chantal Sébire : oui, vous avez bien lu : une solution chirurgicale existait pour cette femme, dixit le professeur Devauchelle ! A-t-elle eu l'info ? A-t-elle été manipulée ?) ; non, la transplantation faciale, ce n'est pas que pour reconstruire les "gueules cassées" des soldats américains lors de guerres en Irak, en Afghanistan, en se servant en tissus composites de la face sur d'infortunés civils - sens propre et figuré - Irakiens, Afghans, Chinois condamnés à mort ... - il se trouverait toujours quelques chirurgiens pour aller faire quelques douteux prélèvements "post-mortem" de "faces", ce genre de prélèvements qui feraient perdre la face à la médecine de remplacement. So ... What else ? ...
Pour commencer, le "cas" de cette femme en Afghanistan, au nez tranché par les Talibans, comme autrefois on coupait la main ou la langue aux voleurs et aux menteurs. Times Magazine (29/07/2010) titre : "Voici ce qui arrivera si on quitte l'Afghanistan". Premier commentaire recueilli il y a 10mn : "Bah, à quoi bon aller dépenser des sous pour aller lui greffer ou lui reconstruire un nez ? De toute façon elles sont toutes bâchées, les femmes, là-bas."
Aucun doute : il n'y aura pas trop de 46 articles sur Agoravox pour mener à bien une réflexion sur la défiguration et sur la transplantation faciale, laissant entrevoir les aspects positifs de cette transplantation, sans faire systématiquement appel au thème du trafic d'organes ...
La transplantation d'organes constitue une médaille (sauver, prolonger des vies) à double revers : d'une part l'odieux trafic d'organes, d'autre part un don/sacrifice qui passe par la mort. Les organes d'un mort ne soignent personne. Ceux d'un mourant (un mort avec des organes sains) ont seuls ce pouvoir ... 
Le professeur Devauchelle n'élude d'ailleurs pas le thème du trafic d'organes : "Tout chirurgien transplanteur a connaissance du trafic des organes qui sont prélevés sur des condamnés à mort et prisonniers en Chine, voilà qui n'est un secret pour personne ..." Rappelons qu'au Japon, malgré un changement de loi en juin 2010 (le consentement écrit n'est plus nécessaire au don de ses organes), l'activité des transplantations d'organes est très faible, tandis que 35.000 patients y attendent un organe. La Chine a donc peu de raisons de stopper son activité de trafic d'organes, puisque la demande est là ... La Chine et le Japon : deux cultures antagonistes (c'est inscrit dans leur histoire), mais deux religions similaires. Comment développer un système de "don d'organes" au pays du bouddhisme et de la réincarnation ? Certes ces religions prônent la solidarité, la compassion et la générosité, mais pour ce qui est du don d'organes, elles sont très partagées. Morcellement du corps, séparation du corps et de l'âme, voilà qui n'est pas idéal pour se réincarner. Vous me direz que les soldats qui sautent sur des mines en Afghanistan ou ailleurs ne vont pas non plus bénéficier d'un délai propice pour que l'âme quitte le corps (ce délai est de plusieurs jours pour la religion orthodoxe) ... Les Chinois sont matérialistes ET religieux, ce qui fait que le trafic risque fort de perdurer, malgré les efforts du gouvernement chinois pour mettre en place un système de "don". D'un autre côté, le bouddhisme est une religion à double tranchant pour le "Don" d'organes. Il ne faudra pas s'étonner que certains voient le verre à moitié vide là où d'autres pourraient le voir à moitié plein ... Comment sortir du cercle vicieux du trafic d'organes en Chine, malgré les efforts de certains laboratoires pharmaceutiques (Novartis) et d'Amnesty International ?
Selon le professeur Bernard Devauchelle, on ne peut développer l'activité de la transplantation faciale sans faire réfléchir nos sociétés sur ses propres canons esthétiques : la défiguration est devenue un handicap qui exclue :
“La question est celle de la défiguration. Elle constitue un handicap. Nous sommes aujourd'hui à un siècle de la Grande Guerre. Autrefois, les 'Gueules cassées' s'exhibaient, fières d'avoir défendu la patrie. Il y a eu toute une réflexion philosophique, intellectuelle, artistique sur le thème de la défiguration - un nouveau champ de réflexion créé au décours de la Première Guerre mondiale. Aujourd'hui, les canons esthétiques seraient plutôt à l'inverse : la défiguration exclue. On la cache et on se la cache." (Professeur Bernard Devauchelle). George Grosz : "Les piliers de la société". Peintre allemand de la Grande Guerre, Grosz pratique l'exagération caricaturale et montre avec vérisme l'état du monde de l'après-guerre. Il emprunte aux futuristes et aux dadaïstes la représentation dynamique et fiévreuse des grandes villes.
Les piliers de la société allemande des années 30, ce sont les "gueules cassées" de la Grande Guerre. Ces "gueules cassées" vont jusqu'à déteindre sur toute la société, gangrenée de laideur. Pour Grosz, ce ne sont pas que les gueules des Allemands revenus de la Grande Guerre qui sont kaputt, ce sont aussi l'érotisme, le sexe, tous les aspects de la vie économique et sociale. Grosz montre que c'est toute la société allemande des années 30 qui aurait besoin d'un bon ravalement de la façade. Son tableau ci-contre est intitulé "Victime de la société".
Chantal Sébire, un exemple médiatisé de la défiguration qui exclue :
Au XXIe siècle, ce sont les gueules cassées qui sont victimes de la société : Chantal Sébire voulait mourir. Elle a refusé une opération qui la soignerait mais qui la défigurerait sans savoir qu'une chirurgie réparatrice était possible. Elle voulait "mourir dans la dignité" ... L'euthanasie ou l'exclusion pour cause de défiguration. Il y avait pourtant un troisième terme à ce dilemme : la chirurgie réparatrice de la face ...    
Il faut que je lise l'article du professeur Bernard Devauchelle sur la chirurgie esthétique dans le Dictionnaire de la Pensée Médicale (PUF, 2004). Chirurgie esthétique, transplantation faciale. Deux réponses chirurgicales, de nature différente, à la défiguration. Rappelons que depuis 1999, la greffe d'un visage était possible, mais la première transplantation n'a été réalisée que six années plus tard. Dans le "Petit livre des grandes découvertes médicales" (Naomi Craft, Dunod, 2009), on peut lire : "Il a fallu tout ce temps pour épuiser le débat éthique, en particulier sur l'impact psychologique chez le patient du changement de son apparence physique. A ce sujet, les médecins opposent l'argument que la structure osseuse du receveur étant différente de celle du donneur, le résultat est un hybride entre les deux individus. (...) Un greffon de tissus composites de la face comprend de la peau, des nerfs, des muscles et des vaisseaux sanguins", le ou la greffé(e) doit prendre des médicaments immunosuppresseurs aux nombreux effets secondaires (risque de diabète, de cancer, notamment de la peau, d'insuffisance rénale, etc. plus élevés), afin de lutter contre le rejet du greffon.    
Dans son article, le Professeur Devauchelle explique comment l'environnement historique préside à la naissance de nouvelles normes - esthétiques entre autres. Chantal Sébire est entrée dans l'histoire. Quelles normes sociétales et chirurgicales pour demain, en ce qui concerne la défiguration et l'exclusion ?  Un laboratoire américain fait pousser de la peau (épiderme, muscles) à partir de cellules souches permettant de recréer du tissus humain (voir). Cette technique encore expérimentale a déjà été testée su plusieurs patients. Des tests cliniques sont toujours en cours pour une méthode qui soulève un formidable espoir ... La greffe du visage, une technique d'avenir pour les nombreux brûlés et accidentés défigurés ?

A tous les chirurgiens transplanteurs et à tous (toutes) les coordinateurs (-trices) des transplantations

Depuis mars 2005, j'observe le milieu des transplantations d'organes et recueille des témoignages de la part des personnels de santé, des proches confrontés à la question du don d'organes, des politiques, du grand public. Petit bilan.
Je suis consternée par cette mentalité "on/off" du corps médical sur le sujet des transplantations - merci au professeur Jean-Michel Boles, du CHU de Brest, choqué lui aussi par cette pression idéologique induisant ce qu'il appelle des "comportements de pression", induits par ce discours "on/off": on est POUR ou on est CONTRE le DON d'organes. "On/off". Cela ne veut strictement RIEN dire, ce n'est pas honnête. Ce discours, analysé par des consultants qui travaillent en entreprise, peut être démasqué pour ce qu'il est : DE LA MANIPULATION. Don ? Sacrifice ? Dans quelles conditions le don d'organes dit "post-mortem" se fait-il ? Quelle fin de vie pour le donneur ? Que savons-nous, grand public, de l'épreuve subie par les proches d'un potentiel donneur ? Nous n'en savons strictement rien, et pour cause : des sociologues spécialistes de la question peinent déjà à recueillir des témoignages. Ces proches parlent tous de sacrifice. "On a du faire un sacrifice" [donner des organes de notre proche en "mort encéphalique"]. "Pourquoi nous ?" Le discours On/Off censure ces témoignages. Or un discours sur le don qui musèle les familles confrontées à la question du don d'organes et de tissus n'a aucun sens. Mais voilà, le discours "On/off" juge ces témoignages embarrassants.
Vous voulez intensifier le don d'organes, prélever des reins sur des donneurs "à coeur arrêté", recenser davantage de cas de "mort encéphalique", quitte à les anticiper, ces cas de "mort encéphalique" ? Les 2/3 des 15.000 patients en attente de greffe attendent un rein, on assiste dans le monde entier à un "odieux trafic d'organes", et malgré les efforts pour contenir ce trafic, comme la demande est là ... 
Aux chirurgiens transplanteurs, aux coordinateurs (-trices), voici mon message :
Voyez-moi, auteure du blog Ethique et transplantation d'organes, comme le signe avant-coureur de ce qui vous arrivera quand les gens se rendront compte en masse de ce qui les attend (de ce qui pourrait bien leur arriver) quand on leur fera un prélèvement "à cœur arrêté". La "mort encéphalique", c'est à peine un pour cent des décès totaux chaque année. Sauf en Espagne, où "grâce" à la corrida, il y a davantage de cas de mort encéphalique. Faut-il introduire la corrida en France ? Faut-il "fabriquer" davantage de cas de "mort encéphalique" en France ? Est-ce éthique d'anticiper un cas de "mort encéphalique" ? Encore patient, déjà donneur ? Non, ce n'est pas éthique. Si pour greffer tout le monde vous foulez au pied les règles de déontologie médicale les plus élémentaires, ne vous étonnez pas de ce qui vous pendra alors au nez : un rejet massif des transplantations par la population. Allez donc interroger le grand public sur le don d'organes. Il vous parlera de trafic d'organes, et des discours racoleurs sur le Don, de ces fameux discours "On/off" qui en choquent plus d'un. Les gens ne sont pas idiots. Entre promotion et information, ils savent faire la différence. Cela s'appelle : frapper au bon coin du bon sens. Exemple : si je suis au chômage, que j'arrive en fin de droits, avec la menace de me retrouver à la rue, et si on me propose d'accéder au butin obtenu suite à un casse dans une banque, vais-je dire non ? 
Vous vous demandez bien quelle pourrait être mon utilité. De vous faire prendre conscience de tous ces signes avant-coureur qui annoncent un rejet massif des transplantations d'organes - rejet qui se fera tôt ou tard, au train où vont les choses. Vous pouvez choisir de me voir, ou de m'ignorer. Certains d'entre vous me répètent à l'envi qu'ils éprouvent un malaise en lisant les propos du blog "éthique et transplantation d'organes". Je vous invite à une prise de conscience pour arranger les choses alors qu'il est encore temps, avant que ne se produise une prise de conscience en masse car lorsqu'on en sera là, et on y arrivera, au train où vont les choses ("On prélève à tout va!", me disait récemment un chirurgien), on assistera à un rejet massif des transplantations.

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Publish and perish!

Physicians have a duty of discretion.  When it comes to organ trafficking, or transplantation ethics, you usually hear things like: "Huh, I'm not privy to the facts, sorry!"
I thought the rule for physicians was "Publish or perish!", but as it turned out, you cannot apply this rule to physicians 100 per cent of the time ... Because of their duty of discretion, you see ... At times the rule might change into: "Publish and perish!" ("Publish and you are in serious trouble!")
So, huh, yeah, I guess there is need for ethical mediation.  By the way, I happen to be reading "Bad Science", by Ben Goldacre right now.  The book says we are constantly bombarded with "inaccurate, contradictory and sometimes even misleading information. Ben Goldacre masterfully dismantles the dodgy science behind some of the great drug trials, court cases and missed opportunities of our time, but he also goes further: out of the bullshit, he shows us the fascinating story of how we know what we know, and gives us the tools to uncover bad science for ourselves."
If it doesn't take a science degree to spot "bad science" yourself - and don't we all have the tools to uncover bad ethics for ourselves: that seat-of-the-pants wisdom? - then why this excessive "duty of discretion"? Thanks to the seat-of-the-pants method, we'll know better ... 

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Responsabilités

Tous les prélèvements d'organes et de tissus dits "post-mortem", ainsi que les premières médicales et chirurgicales, qu'elles soient nationales, européennes ou mondiales, ont toujours lieu dans un Centre Hospitalier Universitaire (CHU), car comme disent les juristes, dans un CHU "il n'y a pas de RC" (responsabilité civile), ce qui n'est pas le cas dans une clinique privée. On ne peut donc pas vraiment porter plainte contre un médecin ou chirurgien (ou tout autre personnel de santé) en particulier dans un CHU, puisque dès qu'une plainte est déposée, c'est l'hôpital qui se défend. Autrement dit, pas de Dr. Delajoux chirurgien transplanteur dans un CHU ...

L'univers des transplantations en narration : la greffe de la face


Ce post fait suite à celui du 5 juin 2009 : "L'univers des transplantations en narration." Conflits d'intérêts, émulation entre chirurgiens du monde entier pour réaliser la première mondiale symbolique : greffe du coeur, greffe totale de la face ... Quel discours public, quelle information, quelle déontologie médicale pour une odyssée scientifique moderne, "pleine de bruit et de fureur", qui n'en finit pas de chercher l'acceptation sociétale mais qui ne la rencontre pas toujours ? Entre information et promotion, comment raconter cette odyssée moderne de la médecine de remplacement ? L'information 2.0, c'est le pouvoir ...
Avons-nous trouvé une forme narrative pour expliquer la crise financière mondiale ? Pas vraiment. Nous avons bien quelques scénarios catastrophe sur fond de mondialisation, mais qui donnera un dénouement à la crise ? Qui en inventera un ? Les grands récits sont-ils encore possibles ? Les sciences sociales ont longtemps mis un réel complexe dans des systèmes pénétrés de "grands récits" scientifiques (positivisme). Le récit du Progrès. Les transplantations d'organes ont tout naturellement trouvé leur place au sein de ce récit sur le Progrès. Tout naturellement ? Ces grands récits n'ont-ils pas écrasé les singularités ? N'ont-ils pas connu ce qu'on pourrait appeler un "échec historique" ? Faut-il préférer une véracité relative à une vérité universelle ? L'odyssée scientifique moderne de la greffe de la face s'annonce loin de ces grands récits scientifiques positivistes. Des singularités sont mises en avant : émulation entre chirurgiens du monde entier pour accomplir une première mondiale : celle de la greffe de la face dite "totale", et ainsi entrer dans l'Histoire. Voici que cette grande première, qui avait été revendiquée en mars 2010 en Espagne (Barcelone, hôpital Vall d’Hebron), est contestée. Les raisons de cette contestation ? Raisons techniques ? Raisons éthiques ? Voici qu'un chirurgien français, le Professeur Laurent Lantieri, revendique ce titre pour lui-même et son équipe, après une greffe effectuée en juin 2010 à l'hôpital Henri-Mondor de Créteil (lire). Entrer dans l'Histoire ?
"L'histoire humaine, c'est un récit raconté par un idiot, plein de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien." (Shakespeare).
L'Odyssée moderne de la greffe de la face est une histoire scientifique et humaine shakespearienne. Est-ce au lecteur - supporter de décider de l'auteur de cette première mondiale plus symbolique encore que la coupe du monde de football ? L'Espagne l'emporterait encore sur les Bleus ? Va-t-on encore perdre la face ? Vite, un chirurgien bien de chez nous qui, à défaut de changer la face du monde, change celle des gens ! On se rappelle la bataille que se livrèrent des chirurgiens transplanteurs au temps d'une autre première mondiale tout aussi symbolique : la première greffe du coeur ... A qui revient d'entrer dans l'Histoire ? A Christiaan Neethling Barnard ou à Norman E. Shumway ?

"La première transplantation cardiaque eut lieu le 3 décembre 1967 pour une opération d'une durée totale de neuf heures et demie, nécessitant une équipe d'une trentaine de personnes. Le patient âgé de 55 ans, Louis Washkansky, souffrait de diabète et d'insuffisance cardiaque. Le greffon provenait d'une jeune femme, Denise Darvall, décédée lors d'un accident de la route. Washkansky survécut à l'opération et vécut encore 18 jours avant de succomber à une pneumonie massive bilatérale induite par le traitement immuno-suppresseur. Il existe une controverse autour de cette opération. Ainsi certains considérèrent Barnard comme un opportuniste ayant injustement volé la gloire et les honneurs à Norman E. Shumway, chirurgien cardiaque à Stanford. Sans les recherches effectuées par ce dernier, la transplantation n'aurait pas été possible. Barnard effectua son opération historique peu après avoir observé les travaux de recherches de Shumway à Stanford. Barnard, homme photogénique, prit rapidement goût à l'attention que lui portèrent les médias dans les suites de l'opération, ce qui contribua à en faire un personnage mondialement connu. Il continua à effectuer des greffes de cœur : le 2 janvier 1968 il opéra Philip Blaiberg qui survécut 19 mois. Dorothy Fisher, transplantée en 1969 survécut 24 ans et devint la greffée la plus âgée de l'histoire." (Wikipedia)
Histoire qui se répète, histoire qui bégaie ... Une controverse autour d'une première mondiale à forte portée symbolique (greffe du coeur, greffe du visage), on connaît la chanson. Mais séduit-elle le grand public ? A l'ère de l'open source, comment recueillir l'acceptation sociétale indispensable au développement de cette nouvelle activité ? S'agit-il d'ailleurs d'une nouvelle activité ? Un sociologue universitaire, Philippe Steiner (La Sorbonne) a publié en mars 2010 un ouvrage intitulé "La transplantation d'organes : un commerce nouveau entre les êtres humains". Cet ouvrage met en évidence un "marketing social du Don" ou discours public visant à promouvoir une activité économiquement rentable : celle de la greffe d'organes, avec dans le sillage de ce développement de la médecine de remplacement dans le monde entier "un odieux trafic d'organes" ("la traite des organes"). Mentionnons que cet ouvrage a été publié chez Gallimard, dans la prestigieuse collection nrf. Acceptation sociétale de la greffe ? La greffe, oui, mais à quel prix ? Cet ouvrage écrirait-il tout haut (chez Gallimard !) ce que beaucoup penseraient tout bas (sans oser l'écrire) ? Le "Marketing social du Don" à l'oeuvre dans notre société ("Le don s'installe") établit une censure : on ne parle pas de sacrifice, ce n'est pas politiquement correct. Saviez-vous que dès la fin des années 50, "don d'organes" et "sacrifice du donneur" se trouvaient cohabiter, parfois dans une même phrase, pour décrire un prélèvement d'organes vitaux "post-mortem" ? Lorsque, dans les années 80, les médicaments immunosuppresseurs permirent aux greffes de prendre leur essor, on ne parla plus de "sacrifice du donneur", mais de "don d'organes". Il devenait urgent que la médecine de remplacement rencontre l'acceptation sociétale. Où en est-on aujourd'hui, du point de vue de cette dernière ? Le discours public d'information sur les transplantations d'organes sait-il s'affranchir de la promotion du Don ? Que pensent les usagers de la santé de ces discours ou "campagnes d'information" orchestrés par des associations et parfois jugés "trop racoleurs" ? ("La chair à vif : De la leçon d'anatomie aux greffes d'organes", David Le Breton, oct. 2008). A l'ancien "Ce n'est qu'une histoire, donne-moi des faits" de la pensée logique se substituerait un "Ce ne sont que des faits, donne-moi des histoires". Oui, mais comment raconter l'univers des transplantations ? Encore un Nième discours de promotion du Don ? Ou, à l'inverse, comment rendre compte de ce réel complexe : celui des transplantations d'organes, avec une odyssée scientifique moderne, qui commence tout juste : celle de la greffe de la face.
Finis, les grands récits universels dogmatiques ? Serait-ce l'ère de la prolifération des récits singuliers, relatifs, multiples, interchangeables, tandis que les collectifs historiques et autres structures sociales seraient "remisés au magasin des curiosités" ? Facebook, ce réseau social à la e-page, pourrait-il remplacer France ADOT (lire) ?

Arrêtons-nous un instant sur cette "multiplicité des récits singuliers" : blogs, réseaux sociaux, autofictions, mise en scène de soi (de multiples soi), construction de communautés. Que recherchons-nous à l'ère de l'open source ? Ce retour au récit témoigne-t-il d'une véritable "culture du narcissisme", propre à nos sociétés ? D'une tentative de réappropriation par les individus eux-mêmes de leur propre histoire ? D'une nostalgie du grand récit partagée aussi par les scientifiques ?

En mars 2010, le professeur Bernard Devauchelle, pionnier de la greffe de la face (CHU d'Amiens, novembre 2005), annonçait la création de l'Institut Européen Faire Faces, au CHU d'Amiens, prévu pour 2012 - pour une "greffe éthique". Est-ce à dire que la première mondiale espagnole ne le fut pas, éthique ? Jusqu'ici onze greffes du visage auraient eu lieu dans le monde, en France, aux Etats-Unis, en Chine et en Espagne. La première mondiale a eu lieu en France en 2005 (source). C'est justement l'auteur de cette première mondiale de 2005 qui veut créer un label pour la greffe de la face : celui de "la greffe éthique". C'est encore l'auteur de cette première mondiale de 2005 qui lit entre les lignes de la toute récente et contestée "première mondiale" en Espagne. Ce qu'il y lit n'est pas très joli : le patient choisi pour bénéficier de cette greffe n'avait nul besoin d'une greffe "totale", lui greffer les paupières était un risque - inutile - à lui faire courir (voir). Que le patient ne puisse pas fermer les yeux des jours et des nuits durant (combien de temps au juste ?), voilà qui n'empêchera pas les chirurgiens espagnols de dormir sur leurs lauriers : ils ont leur première greffe "totale" de la face ! C'était sans compter sur ce projet de création d'un Institut européen Faire Faces. D'Eurêka ! à Caramba ! Dire que les Espagnols tenaient presque leur Oscar (1) de la meilleure greffe ! L'Odyssée moderne de la greffe de la face, "un récit raconté par un idiot, plein de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien" ?
Afin de rencontrer l'acceptation sociétale pour une activité nouvelle dans la médecine de remplacement, mais appelée à se développer - la greffe totale ou partielle de la face - la mise en place de l'Institut Européen Faire Faces au CHU d'Amiens et de son label "greffe éthique" nous semblent indispensables.

(1) Le patient qui a "bénéficié" de la première greffe totale de la face en mars 2010 en Espagne se prénomme Oscar.

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Ethique et don d'organes : des nouvelles du front, ou de la piste cyclable

Petit extrait de conversation récente, avec un chirurgien. Personnages : A : mon mari, B : le chirurgien, C : Catherine, l'auteure du weblog Ethique et transplantation d'organes.

C : Et l'assistance circulatoire mécanique, la micro-turbine pour assister le coeur défaillant, comment ça marche ? Ca se développe ?
B : ben, pas trop non.
C : Et qu'est ce qui freine le développement ?
B : Ben ... les ...
C : la transplantation cardiaque ?
B : oui, les greffes ... Mais ce livre sur l'assistance circulatoire mécanique, ça tient toujours ? Je peux t'aider ...
C : C'est pas jouable. A trop se muscler dans la posture du Don, on perd une occasion de voir le monde autrement. Imagine deux groupes de déménageurs qui se croisent dans l'escalier d'un immeuble. L'un sort un grand piano d'un appart (les greffes), l'autre monte un piano (l'assistance circulatoire mécanique). Pas la place pour que les deux se croisent dans l'escalier. Ceux qui descendent n'avaient pas anticipé au-delà de trois marches (le court, le moyen et le long terme). Le cœur artificiel de chez Carmat, lui, va pouvoir passer, car il va prendre l’ascenseur et non l’escalier ...
B : ...
B : Oui, mais ce qu'on craint, bien sûr, ce sont les dérives ...
A : Où y-a-t-il le plus risque de dérive ? Avec ces organes et tissus de remplacement, ou avec les prélèvements "post-mortem" ?
B : On ne sait pas encore, les deux sans doute, mais ...
C : Ca me rappelle un air bien connu : le cyborg, c'est mal ; le Don d'organes, c'est bien. Tout le monde a l'air de penser qu'une intrusion dans le processus de décès pour cause de prélèvement d'organes vitaux en bon état c'est peanuts. Le Pr. Bernard Debré a parlé de "sauver le donneur" ("La Revanche du serpent ou la fin de l'Homo Sapiens"). En trouvant des alternatives, en ... faisant pousser des organes en labo, grâce aux cellules souches. Ses collègues lui ont ri au nez : "Le Don, c'est bien, le cyborg, c'est mal !" "Le Pr. Debré veut cultiver des organes dans des bocaux à cornichons !" (Cornichons ? Hem ...)
B : Oui, mais le Pr. Debré, c'est un cas à part. Il a été confronté à la question du don des organes de sa belle-soeur qui s'est retrouvée en état de "mort encéphalique", il y a longtemps ...
A : Et il a autorisé le prélèvement de plusieurs organes, c'est ça, non ?
C : Oui ... Lui peut parler. Il sait ce que "sauver le donneur veut dire", loin de toute bienpensanterie. Grave question : le discours public sur le don d'organes vise-t-il à parler vrai, ou à promouvoir le Don ? Euh ... J'ai la réponse !
A : Un donneur "mort", c'est en fait un mort sur le plan légal (car la "règle du donneur mort" est inscrite dans la loi), mais sur le plan physiologique, c'est un mourant. Le risque de dérive ne se situerait-il pas plus du côté du prélèvement "post-mortem" que de celui des organes de remplacement qui poussent en labo ?   
B : Oui, certainement ...
C : On prélève déjà à tout va en prétendant que c'est normal ... Le marketing social du Don vise à nous dire que la greffe est un droit opposable. On oublie que le Don - pas Don, mais sacrifice, à en croire les proches confrontés à la question du don d'organes, car eux parlent dans 80 pour cent des cas de sacrifice, et non de Don - passe par la mort. Pour que les organes soient viables, il faut que le donneur décède très rapidement. Qu'il finisse de mourir au bloc, lors du prélèvement des organes vitaux ... Ce qui serait éthique, ce serait de dire ces réalités et vérités au grand public. Dans cette affaire des transplantations, l'éthique est devenue simple affaire d'assurance qualité. Comment prélever au mieux. Mais d'où viennent les organes ? Silence radio ...
B : C'est sûr que là dedans, il n'y a plus beaucoup d'éthique.
A : Et le coeur artificiel de chez Carmat, ça se développe bien, apparemment ?
C : Le problème c'est le prix du bazar. J'aurais pensé que l'assistance circulatoire marcherait mieux car moins cher ...
A : Le prix n'est pas un problème. Si sa fabrication peut être industrialisée, le prix du coeur artificiel ne constituera pas un problème.
B : Et avec ton blog sur l'éthique et les transplantations, tu en es où ?
C : Là j'ai un peu fait le tour de la question, niveau ... conflits, j'ai vu tout le monde : patients en attente de greffe, patients greffés, infirmiers coordinateurs des transplantations, sociologues et anthropologues universitaires spécialistes des transplantations, médecins réanimateurs, chirurgiens transplanteurs, infirmières cadres, chirurgiens cardiaques, néphrologues, médecins urgentistes, politiques ...
[Sort son SmartPhone et se connecte sur sa fiche auteur sur le site internet d'AgoraVox :] Tu vois, j'en suis à 46 articles sur Agora Vox, le journal citoyen en ligne, sur le thème de l'éthique médicale : les transplantations d'organes et de tissus. 105 commentaires postés, 333 reçus. Pour un donneur d'organes mort et archi mort, comme le veut le discours public (jusqu'où peut-on aller pour ne pas décourager les bonnes volontés en période de pénurie ?), ça fait beaucoup de bruit pour rien, ces 46 articles ...
B : Pas pour rien ! Honnêtement, je trouve ça très intéressant, ce que tu fais ...
C : Merci pour ce soutien qui me va droit au coeur ! A propos de coeur, moi, ça me plaît bien cette histoire de coeur artificiel ... Avec une copine étudiante en médecine, on prépare une interview de la société Carmat ... On voudrait en savoir plus sur ce coeur artificiel ...
B : Tu as beaucoup de lecteurs pour ton blog ?
C : Près de 400 par jour, sauf en août et en décembre, les deux périodes creuses pour le monde médical ... On légifère d'ailleurs souvent en août, pour le don d'organes, quand tout le monde est parti en vacances, voir les lois bioéthiques d'août 2004, etc. Voilà qui en dit long sur la mise en oeuvre du consentement éclairé au don de ses organes à son décès ... Un consentement éclairé est un consentement informé. Vous avez raté l'info du mois d'août ! Tant pis pour vous, tant mieux pour nous, car de toute façon, le consentement présumé est inscrit dans la loi ! La loi permet d'opérer un habile coupé-collé : ni vu ni connu (en août), on remplace consentement éclairé par consentement présumé, et le tour est joué ! 
B : ... Il faut continuer ce que tu fais ...
A : Catherine est en train de lire "J'ai épousé un casque bleu", et "Bambipark", de David di Nota. Elle connaît bien la compagne de cet auteur chez Gallimard, qui dirige la section littéraire de la médiathèque de Rueil-Malmaison.
C : Oui, Olivia est fantastique, je lui dois beaucoup d'idées de lecture ... Elle m'a raconté que son compagnon était danseur à l'Opéra, il a fini par abandonner sa carrière pour devenir écrivain. Voici plus de 10 ans qu'il publie chez Gallimard ... Son sujet de prédilection ? Les conflits ... Je lis et relis ses livres, afin de passer de la piste cyclable du blog (voir photo) à la F 1 : du théâtre chez Gallimard, pourquoi pas ?
B : En tout cas, tu as la matière ...
A : ... Reste à trouver la manière ...

Mes deux devises

Le consultant américain qui me fait l'honneur d'aller jeter un oeil sur mon blog de temps à autre me dit que je dois trouver une ou deux devises pour résumer l'esprit du blog. Ce consultant s'occupe beaucoup de fusions (multinationales). Fusions, transplantations, même combat. Allons-y ...
Devise N°1 : Le discours public sur le don d'organes nous parle des greffés "miraculés", jamais des dilemmes vécus par les familles confrontées à la question du don des organes et/ou tissus d'un proche. Y aurait-il du marketing social du Don dans l'air ? Proches confrontés à la question du don d'organes, vous ne me ferez pas croire que le choix fut si facile, et ce, quelle qu'ait été votre décision. Comment vivez-vous votre deuil ? Nous, usagers de la santé, savons si peu de choses sur vous.
Tout discours public sur le don d'organes qui musèle les familles confrontées à la question du don d'organes (don ? sacrifice ?) n'a pas de sens. Il s'agit de promotion, non d'information.
Devise N°2 :  Elle provient de l'expérience d'une maman confrontée à la question du don des organes de son fils en mort encéphalique. Il s'agit donc d'un témoignage, d'un vécu de proche confronté à la question du don d'organes. Ce que dit cette maman : 
"J'ai la nette impression que tout a été orchestré pour obtenir notre consentement [celui de mon mari et le mien] au don des organes de notre fils, et qu'une fois qu'ils [les médecins réanimateurs ? Les infirmiers ou infirmières coordinateurs ou coordinatrices des transplantations ?] ont eu ce qu'ils ont voulu ..."
Ce message DOIT être entendu.
Il n'y a pas de droit opposable à la greffe, car la greffe passe par la mort.
Pour prélever un organe encore sain, il faut souvent soit accélerer soit retarder quelque peu la fin de vie du donneur, ce qui dans certains cas peut s'avérer ... délicat, je préfère ne pas vous faire un dessin.
Le corps médical, les politiques et le Conseil National de l'Ordre des Médecins n'expriment pas suffisamment ces réalités pour qu'elles soient entendues du grand public. Ce rôle de mauvais élève du marketing social du Don, rappelant des réalités que tout le monde, moi la première, dans un contexte où 15.000 patients attendent un organe, souhaite oublier, je l'assume.
A trop se muscler dans la posture du Don, aurait-on raté une occasion de voir le monde autrement ?

La mort ne fait plus partie de la vie ? En hommage à Eva Markvoort

"La mort ne fait plus partie de la vie ...", regrettait récemment un dignitaire de l'Eglise. La mort est taboue, on ne veut plus en entendre parler, d'ailleurs il n'y a guère que les étudiants en médecine, les médecins, infirmiers (-ières) et aides soignants (-tes) pour voir des morts (les pauvres, quelle galère !) Car aujourd'hui, ce n'est plus de chez soi que l'on part les pieds devant, mais de l'hôpital. En France, 75 pour cent des décès se déroulent en milieu hospitalier. La mort fait peur, fait honte. "La mort, connais pas ! Le deuil, c'est comme la télé, je zappe quand le programme est trop nul !" Personne pour nous sauver d'une sombre perspective : celle d'une fin de vie aseptisée, chimique, programmée, en chambre d'hôpital, entouré(e) non des siens, mais de tubes et de perfusions. A quelle heure la Camarde passera-t-elle pour arrêter le respirateur artificiel et prononcer ces tendres paroles  ("C'était un si bon père ! Elle a tant fait pour ses amis ! Jamais je ne me remettrai du décès de mon neveu, emporté si jeune dans un stupide accident de moto !") : "Heure du décès : 14 : 38."
Personne ? Moi, je connais quelqu'un. Eva Markvoort. Cette jeune femme canadienne, de Vancouver, est atteinte de mucoviscidose depuis sa plus tendre enfance. Elle voulait être actrice, fut sacrée Reine de Beauté ... avant de décéder à 25 ans, le 27/03/2010, deux ans après une greffe des deux poumons. Pour des centaines de milliers de "fans" dans le monde, Eva a raconté son histoire, sa maladie, sa vie, son amour des gens ("the world at large", comme elle disait) jusqu'au bout du bout, sur son blog : 
Voyeurisme ? Vous n'y êtes pas du tout. Et pourtant, elle en a fait des tonnes : "Cystic Fibrosis", le nom de sa maladie (saloperie, plus exactement), c'était trop dur à dire quand elle était petite. Alors, elle disait "sixty five red roses" (65 roses rouges) à la place. Transformer l'immondice en un jardin de roses rouges et fraîches. Le défi, le défi, toujours recommencé ... D'où le nom de son blog, où elle poste à tout va photos, videos, textes : ça va, là ça va moins bien, là ça ne va plus du tout, là je vomis, là je pleure, là je vais mieux car ma famille est avec moi, etc ...
 

Lala laa, une "love song" à la Simon and Garfunkel, avec les fameuses 65 roses rouges ...



Quand je dis qu'elle poste à tout va, c'est un doux euphémisme. Des messages d'amour et de soutien lui arrivent du monde entier, elle y répond, un échange permanent, incroyable. Une intensité rare. "My love is fierce" ("mon amour est féroce") écrit-elle ça et là, entre deux roses rouges, entre deux photos qui la montrent amaigrie, ayant perdu la moitié de sa superbe tignasse ...
Voyeurisme, vraiment, vous persistez ? Très bien, alors : rien que pour vous (gloups !), voici la video qu'elle voulait, et qu'elle a eu, sur son blog : allongée sur son lit d'hôpital, entre ses parents, une grand-mère se tenant un peu en retrait mais le plus près qu'elle peut, Eva nous dit qu'elle va mourir. Elle suffoque, peut à peine parler, mais veut rassurer ses nombreux "fans" en cette Saint-Valentin (nous sommes le 11 février 2010). Entre deux hoquets contenus (pas des pleurs ! Elle cherche simplement un peu d'air pour laisser passer les mots), elle dit : "Love, my love, your love", etc. Tout ça n'est pas très cohérent. Une fille shootée qui se prend pour les Beatles, planant à cause de la morphine qu'on lui administre car elle a déjà un pied dans la tombe, tandis que ses parents luttent de toutes leurs faibles forces pour ne pas sangloter devant la caméra ? Voyeurisme ? N'oubliez pas les centaines de milliers de fans dans le monde entier. "The world at large". La voix cassée, essoufflée, hoquetante de cette fille si vive et si morte, à peine je l'entends que je l'ai sous les yeux, le "Cimetière marin" de Paul Valéry :
"Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes ;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée (...)"
Au Cimetière marin, la mort fait partie de la vie. C'était autrefois, du temps de la poésie surannée. Fanée (ooops, les roses !!) Aujourd'hui, à l'ère de jeux video comme Bioshock 1 et 2, où l'on voit une cité qui fut bâtie dans le but d'autoriser toutes les manipulations génétiques interdites par les lois bioéthiques - je ne vous cache pas que ça a très mal tourné, mais les images art déco sont fabuleuses ! - aujourd'hui, donc, Eva écrit de la poésie pour que ses 65 roses rouges ne fanent jamais. De la poésie 2.0. Un cimetière 2.0, entretenu par sa famille, ses amis. Ce blog, ce n'est pas du voyeurisme. C'est de la poésie 2.0 à l'état pur. Eva a réussi, à l'ère de Bioshock, à faire parler le poème de Paul Valéry comme jamais il n'a parlé avant : un Cimetière marin 2.0, plein d'amour et de roses rouges qui embaument, et non de ces fleurs en plastique, puantes et moches, qu'on trouvait dans les cimetières 1.0.
La mer, la mer, toujours recommencée ... Les proches et les fans d'Eva viennent y vivre ... comme Eva ... y repose : en précieux instants ... 2.0 de ... paix.   

Prélèvements "à cœur arrêté" : le nouveau visage inhumain des transplantations d’organes !


Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la Santé, février 2009 : "Il faut que les Français s'emparent des sujets de bioéthique !"
En 2009 se déroulaient les Etats généraux de la bioéthique, permettant aux usagers de la santé de s'informer et de débattre sur des thèmes tels que la recherche sur les cellules souches embryonnaires, la naissance sous X, les mères porteuses, l'insémination post-mortem, l'assistance médicale à la procréation et la sélection d'embryons, etc. Nombre de Français ont répondu à l'appel et se sont montrés à la hauteur de la complexité de l'entreprise : comprendre et débattre. Les lycéens n'étaient pas en reste, puisque dans bien des lycées, sous la houlette des professeurs de SVT (biologie) et de langues vivantes, on a réfléchi et débattu sur toutes ces questions qui vont faire l'objet d'une nouvelle loi : les lois bioéthiques en vigueur sont en cours de révision, une nouvelle version devrait être entérinée d'ici octobre 2010. Il est néanmoins un sujet ignoré des Français : la reprise des prélèvements "à coeur arrêté" depuis 2007 en France. En effet, depuis 2007, une situation d'arrêt cardiaque peut faire de chacun de nous un donneur de reins et de foie. C'est la loi, d'autant que le "consentement présumé" y est inscrit. Pourtant, les Français ignorent tout des prélèvements "à coeur arrêté". Auteure du blog "éthique et transplantation" initié en mars 2005, j'ai tenté de faire un tour d'horizon des questions d'éthique spécifiques aux prélèvements "à coeur arrêté", dans un contexte où le déficit d'information est flagrant, alors que tout "consentement éclairé" de la part d'usagers de la santé nécessite une information au préalable ... Sans information, le consentement n'est pas éclairé. Il n'est que présumé. A tort ?
Définition des critères de la mort au service du prélèvement d’organes : encore patient, déjà donneur !
Pour répondre à la demande de certains infirmiers coordinateurs des transplantations, voici le texte de mon intervention lors d'un congrès fin avril 2010 sur le thème : prélèvements "à coeur arrêté" ("éthique et transplantations"). Ce texte de 16 pages n'avait pas été lu dans son intégralité. Il effectue un tour d'horizon des questions d'éthique liées à la pratique des prélèvements "à coeur arrêté" en France, aux USA et au Canada et s'appuie sur des publications scientifiques (white papers). L'anlayse que je mets à votre disposition sous format PDF a été relue et approuvée par plusieurs médecins, que je remercie ici. En espérant que cela pourra vous être utile, et dans l'attente de nos prochains échanges ...
Questions d'éthique dans la pratique des prélèvements "à coeur arrêté" :
  ==> Document PDF (16 pages, 220 Ko.) 

Le don d'organes anonyme et gratuit ?

"Il n'y a plus d'éthique, tout fout le camp", me disait en mars 2009 un grand chirurgien transplanteur.
Oui, bon, il exagère sans doute un peu, non ? 
Aux USA et en Europe, l'économie va, quoi qu'on en dise, mal. Les prochaines bulles se préparent. On a décidé de délocaliser l'industrie afin de devenir un pays de service. Exit donc l'industrie, je n'ose plus parler de l'agriculture française, les Allemands l'ont financée durant des décennies, mais enfin ils ne vont pas payer pour Hitler jusqu'à la fin des temps, en tout cas, Merkel ne veut plus ... 

Mon cousin est financier dans une grande banque New-Yorkaise depuis plus de dix ans. Son boulot, c'est de spéculer à la hausse sur les entreprises prometteuses. A priori, ça paraît plutôt sympa, comme job, non ? Mon frère dirige le process de fabrication d'une industrie en Malaisie. Son patron, un Chinois, m'a expliqué comment mon cousin et tous ses collègues contribuent, en toute modestie, à créer la prochaine bulle qui ne manquera pas de mettre l'Europe et les USA dans la panade. En Asie, on veut bien de l'industrie, on préfère faire du business avec du concret, et non avec des tourbillons de chiffres à la Jérôme Kerviel. Alors on y récupère toute l'industrie dont l'Europe et les USA ne veulent plus, ou que ces pays n'ont pas su garder. Je parle allemand couramment. En Europe et aux USA, tout le monde s'en fout ou presque (vous connaissez le salaire d'un prof ?) En Asie, je pourrais très bien gagner ma vie (facilement huit fois le salaire d'un prof) en donnant des cours d'allemand à tous ceux qui veulent travailler ou qui travaillent comme cadres dans les prestigieuses usines auto allemandes, désormais présentes dans leur intégralité en Malaisie, en Chine, etc. Tout ça via internet, sans bouger de chez moi (les cours de langues étrangères 2.0) Les Chinois, par exemple, ont récupéré l'industrie et s'intéressent un peu plus aux langues étrangères que les Français. Il est vrai que pour créer des bulles financières, un peu de "Wall Street English" (comme dans la pub) suffit. Me suis mise au chinois vitesse grand V. Remplacer l'Education Nationale, cette institution stalinienne surannée, par le web 2.0, voilà un projet sympa. Pour commencer, l'Alliance Française de Beijing m'emploiera à plus de 2.400 EUR mensuels. Je dis bien, pour commencer. Le salaire moyen d'un enseignant titulaire qui a de l'ancienneté est de 1.400 EUR.

A chaque bulle, la classe moyenne française trinque. A force de boire des bulles, pardon, la tasse, qui nous dit que ladite classe moyenne ne va pas s'emparer du douloureux problème de pénurie d'organes à greffer, bouleversant au passage quelques fondamentaux (anonymat et gratuité). Ne dit-on pas : "Ventre affamé n'a point d'oreilles ?" 

En tant qu'auteure du blog "éthique et transplantation d'organes" (initié en mars 2005), je reçois régulièrement depuis 2008 (plus sporadiquement auparavant), des annonces de vente d'organe (rein), indiquant un contact mail, parfois un téléphone, toujours un pseudo, et parfois un prix est fixé. Le plus souvent, l'annonceur précise qu'il ne recherche que des propositions sérieuses. L'annonceur est souvent un homme lorsque l'e-mail vient d'Afrique ; souvent une femme lorsqu'il s'agit d'un internaute français. En 2009, sans doute à cause de la crise, j'ai reçu en moyenne jusqu'à trois annonces par semaine ! Depuis mars 2010, ayant demandé et obtenu la charte "Health on the net", le flux des annonces a baissé. Les propositions viennent d'Afrique pour partie (un Africain qui cherche à vendre un rein à un Français), mais en 2009 ces propositions émanaient de bon nombre de Français ou de francophones (ou se faisant passer pour tel) invoquant la crise, leurs difficultés économiques et appelant à ma compréhension (contourner la loi qui interdit la vente d'organes en France) du fait de leurs difficultés à subvenir aux besoins de leur famille. L'e-mail écrit dans ces cas-là fournit typiquement quelques explications sur les difficultés familiales, économiques et personnelles.

Je m'efforce d'effacer ces annonces de mon blog au fur-et-à-mesure, puisque la loi française interdit la "traite des organes" (vente des organes). Or qui peut empêcher un Français - ou une Française - d'aller vendre un rein à un Américain par exemple, via Facebook ? En Amérique, en Australie, des patients en attente de greffe ont "trouvé un rein sur Facebook", c'est-à-dire que ce réseau social a pu connecter l'offre et la demande, mieux qu'un courtier en organes, qui, lui, prendrait une ("belle") commission.

En France, il n'y a pas de culture d'entreprise. On envoie l'industrie au diable (au "made in China") Il ne faudra pas s'étonner que des organes "made in China" nous arrivent ... Quelques chirurgiens reçoivent en consultation des patients qui ont été se faire greffer un rein en Chine. Ledit rein a bien entendu été prélevé sur un condamné à mort sur lequel on a prélevé les organes sans le moindre consentement. L'Etat chinois a ensuite vendu ces organes au plus offrant, récemment ce marché passait par Hong Kong ... En Chine, il y a plus de 70 chefs d'accusation pour la peine capitale. Il suffit d'avoir grugé les impôts pour y passer (combien de Français ... hem.) En Chine, la peine capitale, "parce que vous le valez bien" (allusion au feuilleton de l'été, l'affaire Bettencourt)

En France, on n'aura bientôt plus d'industrie, mais on a des organes ! Je n'aurai pas l'orgueil de comparer mon blog à Facebook en termes d'impact sociétal, même s'il m'est arrivé récemment une drôle d'aventure. De retour après quelques jours passés à Beijing, je constate que plusieurs internautes ont posté une petite annonce suite à un blog post, dans la partie actus : "Vendre ses organes en toute légalité". Ô surprise ... Mais cette fois-ci, la mésaventure va plus loin. Les petites annonces, du style :

"mme XX pour vendre un de mes rein vous pouvez me ontater sur XX@XX.fr non serieu s'abstenir merci"   ...

[Avant de poster un tel message, les auteures de l'annonce, dans tous les cas des femmes, m'avaient expliqué, dans un mail à part, leurs difficultés financières dues à la crise.]

... ont fait de moi un courtier en organes ! D'habitude, j'efface ces annonces dès qu'elles apparaissent (un surcroit de travail dont je me passerais bien). Or en Chine, je n'avais que peu d'accès à internet. Ces annonces se sont donc accumulées durant une petite dizaine de jours. Le temps d'être repérées. Sur mon blog, j'indique un numéro de téléphone portable. De retour de Beijing, j'écoute des messages en anglais à fort accent "roi du pétrole" (Russie et Emirats) ... je ne sais pas si je dois dire la suite ? Bah, pourquoi pas : je suis supposée réunir tous les messages récents (que signifie au juste "récents" ?) contenant une offre "sérieuse" avec contact (e-mail, téléphone), et attendre qu'on prenne contact avec moi sous quinzaine, pour fournir ces renseignements, contre récompense j'imagine ...

Inutile de vous dire que je n'ai pas donné suite. A mesure que crèvent les bulles spéculatives (finances, immobilier, etc.) en Europe et aux USA, la "traite des organes" se fait plus menaçante. Cette menace est arrivée à nos portes. Peu de chirurgiens transplanteurs osent le dire, ils ont un devoir de réserve ("duty of discretion" en anglais), certains allant jusqu'à pousser pour qu'on légifère sur la vente des organes en France, afin d'aider des familles dans le besoin (aider ?) Les chirurgiens transplanteurs qui osent parler se font rappeler à l'ordre par le ministère de la Santé : une lettre recommandée AR arrive dans leur service hospitalier, leur rappelant leur "devoir de réserve". Autrement dit : s'ils sont chefs de service et s'ils parlent (publient), ils vont avoir des ennuis. Or les chirurgiens transplanteurs qui dirigent des services hospitaliers sont aux premières loges pour réaliser (et nous faire réaliser) que "cet odieux trafic d'organes" (dixit l'un d'eux) est devenu une réalité chez nous.

Exit l'industrie, vive le retour au bon vieux temps de l'esclavage, avec la "traite des organes". Au fait, je n'ai pas encore vu les news. Quelle usine délocalise-t-on aujourd'hui ? Il y aura bien quelques ouvriers prêts à vendre leurs organes, faute de trouver du travail. La greffe est victime de son succès. Faute de don ou faute de travail ? En France, on n'a pas de pétrole mais on a des bulles spéculatives, pardon, des organes. Laissons l'industrie aux Chinois. Nous, on pourra toujours industrialiser le don d'organes. La Chine est un pays communiste qui s'ouvre au capitalisme. La France est un pays communiste qui s'ignore. "Il n'y a plus d'éthique, tout fout le camp" ? Euh, désolée, Professeur, je crois que finalement, vous aviez raison.




Catherine coste, auteure du blog "éthique et transplantation d'organes" .