Scientific MOOCs follower. Author of Airpocalypse, a techno-medical thriller (Out Summer 2017)


Welcome to the digital era of biology (and to this modest blog I started in early 2005).

To cure many diseases, like cancer or cystic fibrosis, we will need to target genes (mutations, for ex.), not organs! I am convinced that the future of replacement medicine (organ transplant) is genomics (the science of the human genome). In 10 years we will be replacing (modifying) genes; not organs!


Anticipating the $100 genome era and the P4™ medicine revolution. P4 Medicine (Predictive, Personalized, Preventive, & Participatory): Catalyzing a Revolution from Reactive to Proactive Medicine.


I am an early adopter of scientific MOOCs. I've earned myself four MIT digital diplomas: 7.00x, 7.28x1, 7.28.x2 and 7QBWx. Instructor of 7.00x: Eric Lander PhD.

Upcoming books: Airpocalypse, a medical thriller (action taking place in Beijing) 2017; Jesus CRISPR Superstar, a sci-fi -- French title: La Passion du CRISPR (2018).

I love Genomics. Would you rather donate your data, or... your vital organs? Imagine all the people sharing their data...

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Pensez-vous qu'il existe une réticence de la part du corps médical à aborder la question de la souffrance avec des malades en fin de vie, c'est-à-dire à répondre aux inquiétudes des malades en fin de vie concernant leur souffrance ?
Professeur Louis Puybasset, chef du service d'anesthésie-réanimation de l'hôpital de la Pitié Salpêtrière, Paris :

"Moi je ne suis pas pour laisser souffrir les gens, bien entendu. On a toujours été là, la médecine a toujours été là pour traiter la souffrance et la douleur. C'est son premier devoir. La question est une question de frontière. C'est ce qui se passe en Belgique, si vous voulez. Au départ la loi était inscrite comme ceci : 'Dans le cadre de souffrances terminales, de maladies graves et incurables, etc.' Et finalement, on euthanasie brutalement, par une injection létale, quelqu'un qui est à la phase aiguë d'un Alzheimer [d'une maladie d'Alzheimer, ndlr.]. Il s'agit d'un problème de dérapage. D'un problème de frontières. Si on se limite aux cas de fin de vie, de souffrances terminales, cela ne pose aucun problème. A mon sens, ces sédations intermédiaires sont parfaitement faites. [Les sédations terminales visent à soulager la douleur et la détresse de certains patients en fin de vie. Il s'agit d'une sédation palliative, ndlr.] (...) Le problème, c'est que si on rentre dans cette thématique d'ouverture de droit, on va avoir : 'Je souffre parce que je vais avoir dans 5 ans la déchéance de la maladie d'Alzheimer, et je souffre de penser cela, et je veux que l'on m'euthanasie. Et là, on ouvre un droit à la mort opposable. Et après ? Prélèvement d'organes. Il y a déjà ça en Belgique : euthanasie, prélèvement. C'est-à-dire que ça va très vite en marche d'escalier. C'est ce qu'on appelle la pente glissante. Et là il faut quand même être très très méfiant. En particulier sur l'histoire du don d'organes. Ils ont quand même prélevé en Belgique quatre patients, deux atteints de sclérose latérale amyotrophique (SLA) et deux atteints du 'locked-in syndrome', après euthanasie, c'est-à-dire après arrêt du coeur. Sur ces patients, on a prélevé les reins et le foie. On arrête d'abord le coeur, et ensuite on prélève les reins et le foie. Il y a là un effet d'engagement de choses, on ne sait plus très bien où on s'arrête. La situation de fin de vie, de douleur, détresse, souffrance en phase terminale est bien circonscrite, mais cette notion de souffrance est tellement lâche, la souffrance morale, ça peut aller tellement loin, où met-on la frontière ? On ne le sait plus très bien. Après tout, on est tous les jours en souffrance de quelque chose."
Dr. Jean Léonetti, député et médecin, auteur de la loi de la fin de vie, au Professeur Louis Puybasset :
"Mais si on prend la question en ce qui concerne les fins de vie : j'aimerais revenir sur cette réticence du corps médical à répondre à ce type de demande [soulager les douleurs et la détresse morale, psychique en phase terminale, en fin de vie, à la demande des patients, ndlr]. Un malade qui en fin de vie réclamerait une sédation, est-ce que c’est quelque chose qui vous apparaît comme choquant ? Quelqu’un qui sait qu’il va mourir dans les jours ou les heures qui vont venir et qui réclame d’aborder la mort avec une sédation, en étant endormi, est-ce que ça vous parait quelque chose d’acceptable ?"
Professeur Louis Puybasset :
"Vous pensez qu'il y a vraiment une réticence de la part du corps médical à soulager ces douleurs, vous ?"
Dr. Jean Léonetti :
"On nous le dit"
Professeur Louis Puybasset :
"C'est le travail des unités de soins palliatifs. C'est un problème de culture. Ce n'est pas un problème de moyens."
Source : http://www.assemblee-nationale.fr/13/commissions/droits_malades/droits-malades-20081008-1.asp

Mission d’évaluation de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005

Une réticence du corps médical à répondre aux demandes des patients en fin de vie voulant éviter la souffrance ?

C'est la question qui est au coeur de la mission d'évaluation de la la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi sur la fin de vie ou loi Léonetti. Cette loi porte le nom de son auteur, médecin et député : Jean Léonetti. Cette mission d'évaluation, qui a débuté au printemps 2008, vient de se terminer (à la mi-octobre 2008). D'après Jean Léonetti, il subsiste des résistances de la part du corps médical lorsqu'il s'agit de répondre aux questions sur la souffrance que posent et se posent les patients en fin de vie. Le Professeur Louis Puybasset, chef du service d'anesthésie-réanimation de l'hôpital de la Pitié Salpêtrière, Paris, semble en désaccord, puisqu'il pense de son côté qu'il n'existe pas vraiment de réticence de la part du corps médical face à ces questions :
"La médecine a toujours été là pour soulager les souffrances. C'est là son rôle premier."

En tant qu’usager de la santé et auteur du weblog d’information "Ethique et transplantation d’organes", j’ai suivi avec attention et grand intérêt l’audition du 8/10/2008 du Professeur Louis Puybasset, chef du service d'anesthésie-réanimation de l'hôpital de la Pitié Salpêtrière, Paris, dans le cadre de la mission d’évaluation de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi sur la fin de vie, et ai pu apprécier la rigueur et la dimension humaine de son exposé. Les auditions dans le cadre de la mission d'évaluation de cette loi sont retranscrites en différé sur le site internet de l'Assemblée Nationale, et peuvent donc être visionnées par tous (lien).


J’ai bien compris la nécessité de "sécuriser les affaires de sédation" dont parle le Professeur Puybasset. Rappelons que la "sédation", ou "sédation terminale", est l'anesthésie visant à prévenir ou à corriger la souffrance de malades en fin de vie.

Le Député et Docteur Jean Léonetti, auteur de la "loi sur la fin de vie" d'avril 2005, a posé au Professeur Puybasset la question suivante :
"Un malade qui en fin de vie réclamerait une sédation, est-ce que c’est quelque chose qui vous apparaît comme choquant ? Quelqu’un qui sait qu’il va mourir dans les jours ou les heures qui vont venir et qui réclame d’aborder la mort avec une sédation, en étant endormi, est-ce que ça vous parait quelque chose d’acceptable ?"

A cette question, le Professeur Puybasset a répondu :
"Si on rentre là-dedans, je ne vois plus très bien où est la frontière avec l’euthanasie. (...) Si c’est dans le cas du malade conscient, on tombe dans une sorte d’euthanasie à la française, qui ne dirait pas son nom, et qui pourrait aller jusqu’à ouvrir un 'droit à la mort opposable', mais il ne s’agit plus là d’une logique médicale. (...) Avec la médecine, on est dans des questions de devoir et pas de pouvoir." D’après le Professeur Puybasset, il faut éviter "l’escalade 'euthanasie-prélèvement d’organes'", visible aux USA et aux Pays-Bas.

En tant que grand public, je réfléchis sur le thème "douleur et prélèvement d’organes". Il me semble que le choix se pose à peu près en ces termes : que préférez-vous ?

- (option 1) Qu’on dise à vos proches que vous êtes "mort" afin de pouvoir prélever vos organes ("règle du donneur mort") ? Oubliez alors la question de la douleur lors du prélèvement de vos organes : elle n’est pas pertinente. De toute façon, un donneur d’organes "mort" n’est pas anesthésié en continu. Oubliez alors le fait que les équipes médicales doivent réanimer des patients avant le prélèvement d’organes. Que cette réanimation est douloureuse (aussi) pour les équipes médicales qui en ont la charge. Réanimé ou pas, vous êtes mort et un mort, ça n’a mal nulle part. Bannissez toute tentative d’une représentation réaliste du prélèvement de vos organes à votre décès (conseil d’ami donné par une infirmière coordinatrice des transplantations : "Il ne faut pas imaginer le prélèvement d’organes") et ne pensez qu’à une chose : vous êtes généreux. (Orientation française)

- (option 2) Que de votre vivant, ayant réfléchi à votre fin de vie, vous puissiez envisager de donner vos organes et tissus encore viables si la fin des traitements palliatifs était envisagée tandis qu’il serait malheureusement devenu inutile de poursuivre des soins ? La question de la sédation terminale serait alors envisagée au préalable du prélèvement d’organes. Le problème de la douleur (anesthésie, sédation terminale) ne serait pas balayé sous le tapis. Une personne en fin de vie a droit à une sédation. La "règle du donneur mort" est reconnue comme hypocrite, au minimum elle est largement battue en brèche car reconnue comme étant "une voie sans issue", ce qui permet justement de ne pas évincer la question de la sédation de fin de vie (Orientation américaine).

Où est-on plus généreux ? Dans le choix (1) ou dans le choix (2) ?

Désolée, mais en fait vous n’avez pas le choix. (2) n’est pas une option en France. La loi Léonetti, dite loi sur la fin de vie, datant d’avril 2005, concerne donc les soins palliatifs dont devraient bénéficier tous les patients en fin de vie – à l’exception des donneurs d’organes, dits "morts", qui n’ont plus les droits civiques de la personne en fin de vie. Prélever un mourant ou reconnaître que l’on prélève un mourant équivaut à un crime puisqu’en France la "règle du donneur mort" a force de loi. Pour l’usager de la santé, l’absence de consensus au niveau international (la coexistence de ces deux options "opposées") est très troublante. L’individu est moins responsabilisé en France qu’aux USA : il n’a pas à réfléchir à la question "douleur et don d’organes". Le discours public français demande bien le consentement de l’usager de la santé au prélèvement de ses organes après son décès. La "règle du donneur mort", à mon sens, ne permet pas le don d’organes. Les usagers de la santé ignorent que les médecins peuvent déclarer mort un patient "à cœur battant", ayant été réanimé aux "seules" fins de conserver les organes, que cette réanimation est bien sûr invasive. Dans ce cas, le consentement éclairé, pourtant inscrit dans la loi, ne signifie pas grand-chose.

==> Voir l'article de fin août 2008 : La "règle du donneur mort", une voie sans issue ? (lire).

La question que je me pose, uniquement du point de vue de la douleur : ai-je plus de "chances" de souffrir si on me prélève mes organes en fin de vie en France (option 1) ou aux USA (option 2) ?

Très sincèrement, l’option française ne m’inspire pas confiance. Je ne peux me défaire de l’impression qu’il s’agit plus d’un vol que d’un don (le consentement éclairé n’est pas possible avec la "règle du donneur mort"). Je m’interroge donc sur le don d’organes suite à une décision d’arrêt des soins dans un contexte de fin de vie - suite à arrêt des soins palliatifs (situation USA). Dans cette situation, je m’interroge pour savoir si j’autoriserais le don de mes organes à ma mort. Je m’interroge sur la question de savoir comment, concrètement, se passerait une fin de vie où la personne veut faire un don d’organes ? A mon sens, l’exercice de la médecine comme "devoir" et non comme "pouvoir" ne doit pas censurer les questions liant le don d’organes en fin de vie et les soins palliatifs, dont le but est d’alléger les souffrances de fin de vie (l’accompagnement lors de la fin de vie, jusqu’à la mort, afin d’éviter les souffrances). La "règle du donneur mort" relève à mon sens de la médecine comme "pouvoir" et non comme "devoir", car elle censure la question de la douleur (un mort, cela n’a mal nulle part).

Les Etats généraux de la bioéthique auront lieu au premier semestre 2009, je souhaiterais que la question "douleur et prélèvement d’organes" soit prise en compte lors de ces Etats Généraux, auxquels je souhaiterais participer en tant qu’usager de la santé.

Pour conclure sur une note optimiste, je laisserai la parole au Professeur Bernard Debré, qui plaide en faveur de la recherche sur les cellules souches (clonage thérapeutique) :
"En dehors d'une poignée d'illuminés, vite repérés, et dont on peut penser qu'ils seraient punis comme ils le méritent, qui donc aurait intérêt à transformer le clonage en activité criminelle ? A tant faire agiter des fantasmes, certains se rendent-ils compte qu'ils travaillent au discrédit de la recherche? Criminaliser, en plein XXIème siècle, les recherches sur le clonage thérapeutique m'apparaît aussi stupide que de s'opposer, au début du XXème siècle, à la généralisation du vaccin. D'abord parce que, sans recherche sur l'embryon, je ne le répéterai jamais assez, nous ne serons pas en mesure, demain, de maîtriser l'autoreproduction de nos propres cellules souches ; ensuite parce qu'il est contradictoire, et pour tout dire malhonnête, de favoriser le don d'organes et d'interdire à ceux qui en auraient le plus besoin de recourir au gisement cellulaire que constituent des centaines de milliers d'embryons surnuméraires congelés.
Que faut-il, aujourd'hui, pour sauver, par une greffe, la vie d'un malade dont le foie ou les reins sont gravement atteints ? Rien de plus qu'un donneur, autrement dit, parfois... l'impossible. Attendre la mort d'un jeune homme ou d'une jeune femme dans la force de l'âge et dont l'organe sera compatible avec son organisme : voilà le quotidien de milliers de malades dont beaucoup savent qu'ils disparaîtront sans avoir eu la chance de profiter de la malchance d'un autre. Cet autre dont le corps n'avait plus d'avenir sur cette terre, hors celui de sauver la vie d'un inconnu...
Regardons maintenant ce qui se passe pour les embryons congelés. N'ayant pas été utilisés pour assurer une descendance aux couples dont ils sont issus, ils sont près de cent mille par an à s'entasser dans les congélateurs de nos laboratoires et de nos instituts de recherche. Sans doute cette image choquera-t-elle certains, mais elle correspond à une réalité : ces petits d'hommes en puissance n'ont pas plus d'avenir sur terre que de sauver les accidentés de la circulation auxquels on prélèvera un rein, un coeur, ou un foie. Et pourtant de nombreux pays interdisent qu'on les utilise pour la recherche médicale, fût-ce, à très court terme, pour sauver des vies... En France, les dérogations sont possibles et une réforme est envisagée, comme on l'a dit, mais pas encore adoptée, loin s'en faut." "Dictionnaire amoureux de la médecine", paru aux Editions Plon, septembre 2008. [L'extrait cité se trouve p. 447-448]. Copyright Plon 2008.


En reconnaissant la nécessité de "(...) sauver les accidentés de la circulation auxquels on prélèvera un rein, un cœur, ou un foie", le Professeur Bernard Debré compromet-il la nécessité de "sécuriser les affaires de sédation" ? Il me semble que la reconnaissance de cette nécessité de "sauver" les donneurs d’organes correspond à la conception de "l’exercice d’une médecine de devoir et non de pouvoir" dont parlait le Professeur Puybasset. Il me semble urgent de sortir du dogme de la "générosité", dogme avec lequel on jongle pour justifier les prélèvements d’organes. Les Américains l’ont dit, ce dogme, dérivé de la règle du "donneur mort", est inopérant. Une "voie sans issue".
"Un malade qui en fin de vie réclamerait une sédation, est-ce que c’est quelque chose qui vous apparaît comme choquant ? Quelqu’un qui sait qu’il va mourir dans les jours ou les heures qui vont venir et qui réclame d’aborder la mort avec une sédation, en étant endormi, est-ce que ça vous parait quelque chose d’acceptable ?"

Cela ne me paraît pas choquant, cela me paraît même être un droit, dans le cadre de la réflexion "douleur et prélèvement d’organes". Si j’ai bien compris, afin de ne pas transformer ce droit en un "droit à la mort opposable" qui serait, lui, tout à fait abusif, il me faut renoncer à ce droit, qualifié par le Professeur Puybasset d’"escalade euthanasie-prélèvement", et me résigner, juste dans le cas du donneur d’organes "mort", à ce que la "médecine de devoir" soit évincée au profit de la "médecine de pouvoir" ? Je sens bien que cela est injuste.

Vos brèves d'éthique

Voici quelques réflexions, commentaires, histoires, etc.
En bref, des réactions sur l'éthique et les transplantations, venant d'infirmières, médecins, usagers de la santé.

Merci de me faire parvenir les vôtres afin que je puisse les mettre en ligne ! Vous pouvez aussi les mettre en ligne directement, sous forme de commentaire.

Progrès
"En dehors d'une poignée d'illuminés, vite repérés, et dont on peut penser qu'ils seraient punis comme ils le méritent, qui donc aurait intérêt à transformer le clonage en activité criminelle ? A tant faire agiter des fantasmes, certains se rendent-ils compte qu'ils travaillent au discrédit de la recherche ?Criminaliser, en plein XXIème siècle, les recherches sur le clonage thérapeutique m'apparaît aussi stupide que de s'opposer, au début du XXème siècle, à la généralisation du vaccin. D'abord parce que, sans recherche sur l'embryon, je ne le répéterai jamais assez, nous ne serons pas en mesure, demain, de maîtriser l'autoreproduction de nos propres cellules souches ; ensuite parce qu'il est contradictoire, et pour tout dire malhonnête, de favoriser le don d'organes et d'interdire à ceux qui en auraient le plus besoin de recourir au gisement cellulaire que constituent des centaines de milliers d'embryons surnuméraires congelés.
Que faut-il, aujourd'hui, pour sauver, par une greffe, la vie d'un malade dont le foie ou les reins sont gravement atteints ? Rien de plus qu'un donneur, autrement dit, parfois... l'impossible. Attendre la mort d'un jeune homme ou d'une jeune femme dans la force de l'âge et dont l'organe sera compatible avec son organisme : voilà le quotidien de milliers de malades dont beaucoup savent qu'ils disparaîtront sans avoir eu la chance de profiter de la malchance d'un autre. Cet autre dont le corps n'avait plus d'avenir sur cette terre, hors celui de sauver la vie d'un inconnu...
Regardons maintenant ce qui se passe pour les embryons congelés. N'ayant pas été utilisés pour assurer une descendance aux couples dont ils sont issus, ils sont près de cent mille par an à s'entasser dans les congélateurs de nos laboratoires et de nos instituts de recherche. Sans doute cette image choquera-t-elle certains, mais elle correspond à une réalité : ces petits d'hommes en puissance n'ont pas plus d'avenir sur terre que de sauver les accidentés de la circulation auxquels on prélèvera un rein, un coeur, ou un foie. Et pourtant de nombreux pays interdisent qu'on les utilise pour la recherche médicale, fût-ce, à très court terme, pour sauver des vies... En France, les dérogations sont possibles et une réforme est envisagée, comme on l'a dit, mais pas encore adoptée, loin s'en faut."
Professeur Bernard Debré, chef de service d'urologie de l'hôpital Cochin, Paris, auteur du "Dictionnaire amoureux de la médecine", paru aux Editions Plon, septembre 2008. [L'extrait cité se trouve p. 447-448].
© Plon 2008.

Les prélèvements "à coeur arrêté" :
Eric, Paris, ingénieur :
"On peut imaginer une histoire où un greffé (qui aura 'consommé' 3 ou 4 reins 'cadavériques' dans sa vie) sera, après sa mort, attendu au coin de la rue (quelque part là-haut) par les pauvres bougres qui auront eu le malheur de faire un arrêt cardiaque dans la rue et qui, en fin de vie, auront été douloureusement dépouillés de leurs reins pour... améliorer un confort de vie. De la baston en perspective dans l’au-delà..."

Ethique et greffe de foie :
Dr. Marc Andronikof, chef du service des urgences, hôpital Antoine-Béclère, Clamart :
"Pour les greffes, le pire règlement de comptes post mortem pourrait être avec les greffés du foie dont le principal contingent est fait des cirhhotiques alcooliques, qui inscrits sur les listes d'attente, continuent à boire bien entendu. Il y a là un paradoxe moral fort, mais comme tout jugement de valeur est interdit, il n'y a plus de morale, donc plus de paradoxe."
[NDLR : l'alcoolisme est considéré comme une maladie auto-infligée. Cette pathologie ne fait plus obstacle à l'inscription (répétée, du fait des rechutes) sur la liste nationale des patients en attente de greffe.]

Rosemonde, IDE Formatrice, Argenteuil :
"J'ai travaillé en France et en Suisse pendant des années en tant que coordinatrice des équipes de transplantation d'organes. Maintenant, il y a plus de transparence qu'avant. Ainsi, dans les années 80, en Suisse, un chirurgien transplantait à tour de bras des foies sur des patients alcooliques. Un même patient pouvait ainsi recevoir plusieurs foies : 4, 5, parfois plus ! A l'époque, un chirurigien qui pratiquait beaucoup de greffes gagnait en pouvoir et en argent. Nous, les infirmières, étions choquées. On a fait venir un psychologue pour dénouer le conflit. Faire comprendre à ce chirurgien greffeur que sa vision purement carriériste de la greffe n'était pas éthique, pas acceptable. Maintenant, ce comportement ne serait plus possible. Un tel chirugien serait aussitôt stoppé, il ne pourrait pas retirer un tel gain financier de ses activités. La greffe ne donne plus autant de pouvoir qu'avant aux chirurgiens."

Information ou promotion ? Quelle éthique ?
Adrian, chirurgien, service de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire, Hôpital Henri-Mondor, Créteil : "Il faut continuer ce que tu fais pour diffuser les infos sur les transplantations au grand public."

Professeur Bernard Debré, professeur de médecine et chef du service d'urologie de l'hôpital Cochin, Paris : "Je ne suis pas (...) d’accord pour qu’il y ait une appropriation conditionnelle du corps par la société, ce qui nous rapprocherait des doctrines qu’on a connues au début du siècle dernier ou au milieu du siècle dernier. Je pense au contraire qu’il faut une véritable information des hommes et des femmes de France et d’ailleurs, cette information doit avoir lieu à travers des publications dans la presse, des forums, des émissions de télévision et des blogs. Il est évidemment très intéressant de penser que la médecine régénératrice autrement dit pour l’appeler par son nom, le clonage thérapeutique remplacera les greffes d’organe. Il faut bien entendu encourager la recherche sur les cellules souches qu’elle soit issue de l’embryon, du sang de cordon ombilical, ou qu’elle soit redevenue cellule souche grâce à certain nombre de manipulations que nous savons faire maintenant [cellules souches adultes, non issues de l'embryon, NDLR]. Je ne vois pas pourquoi nous n’encouragerions pas le développement des banques de sang de cordon. Se pose là un problème d’éthique d’ailleurs, c’est de savoir si ce sang de cordon appartient à celui qui l’a déposé ou si il est mis à la disposition de tout le monde. Nous aurons à en discuter au comité national d’éthique [Le Comité Consultatif National d’Ethique ou CCNE, NRDL]."

Professeur Henri Kreis, chef du service de néphrologie, transplantation rénale à Necker-Enfants malades : "Merci de m'avoir fait connaître votre blog qui est indiscutablement très intéressant. (...) Je vais suivre votre blog !"

Marie-Jo Thiel, Centre Européen d’Enseignement et de Recherche en Ethique des universités de Strasbourg (CEERE, Strasbourg) :
"C’est de fait toujours important d’informer ! Et votre blog que je viens de visiter à l’instant permet d’aller plus loin dans ce travail d’information. Bon courage et bon vent pour ce que vous faites."

Le 11 juin 2008, le CEERE – Centre Européen d’Enseignement et de Recherche en Ethique des universités de Strasbourg, a reçu à Paris, au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) les premiers 'Trophées de l’enseignement de l’éthique' en France (lire).

Professeur David Khayat, professeur à l’université Pierre-et-Marie-Curie, chef de service de cancérologie à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière, Paris : "J’ai été sur votre Blog. Très intéressant. Bravo !"

Et si on avait besoin de nos organes pour connaître une mort plus courte et plus douce ?
Jacqueline Dauxois [JD] et le Docteur Marc Andronikof [MA], au sujet de leur livre "Médecin aux urgences", paru aux Editions du Rocher en 2005 [pp. 17-19] :
"[MA :] Nous ne sommes pas là pour faire peur, mais nous ne sommes pas là non plus pour être dans le consensus, sinon ce n'est pas la peine. Notre livre ne sera pas rassurant, non. Pourquoi ? Parce que ce sont des sujets terrifiants ; vous avez dit vous-même que vous étiez épouvantée par ces questions qui touchent à la vie et à la mort, au dépeçage, à l'image que les médecins peuvent avoir des malades comme des assemblages d'organes, qu'ils attendent de prélever. Ces frayeurs sont fondées puisque la transplantation se fait à l'encontre de tous les interdits culturels et historiques ancestraux, au moyen de pratiques dont le grand public n'a aucune idée et que les médias s'efforcent de présenter comme anodines.
[JD :] Quelles pratiques ?
[MA: ] Savez-vous ce qui se passe lorsqu'un malade arrive en réanimation ? Si on pense le sauver, on fait l'impossible pour y parvenir. Dans les autres cas, soit il se trouve dans un tel état qu'on sait dès le départ qu'il est perdu, soit il s'aggrave et cela revient au même.
[JD :] Et il meurt !
[MA :] Non !
[JD :] Pourquoi ?
[MA :] Parce qu'on n'arrête pas la réanimation !
[JD :] On l'empêche de mourir tranquillement ?
[MA :] Oui !
[JD :] Pourquoi ?
[MA :] Non seulement on l'empêche de mourir tranquillement, mais on prolonge son agonie pendant des jours.
[JD :] Pourquoi ?
[MA :] Pour se donner les moyens de prélever des organes ! C'est une pratique qui m'est insupportable, bien que je continue à faire un peu de réanimation. Il m'est insupportable que les gens qui travaillent aux urgences, et je travaille aux urgences, il m'est insupportable que ces gens dont je suis puissent décider qu'un malade, qui est perdu, doit absolument être réanimé au moyen de toutes les machines respiratoires, toutes les assistances circulatoires, tout ce que vous voulez pour qu'on puisse lui prélever ses organes ! Or, non seulement les équipes décident de le faire ; mais elles disent qu'il faut le faire et qu'on serait coupable de ne pas le faire.

Moi, je suis hérissé de ne pas laisser les mourants mourir en paix, et, de plus, il me semble que le médecin doit soigner et aider la personne qui se trouve là, devant lui, au lieu de la sacrifier pour les autres. Je refuse de considérer le malade comme un moyen destiné à être utile à la société, je refuse de l'instrumentaliser en vue d'un bien imaginaire. Vous allez me dire que ce bien n'est pas abstrait puisque des patients, inscrits sur des listes d'attente, espèrent une greffe ; mais c'est une autre discussion, après.

Maintenant, je veux montrer que, pour certains médecins, les gens sont des organes ambulants. La meilleure preuve c'est que, quotidiennement, on maintient des malades en survie dans le seul but de les prélever. Tous les jours, on prive des mourants de leur mort.
[JD :] Une mort qui pourrait être plus douce et plus consciente ?
[MA :] Plus courte et plus douce. Plus consciente, non, en principe ces mourants sont dans un coma plus ou moins profond, mais ils ne sont plus conscients. Quant à la souffrance qu'ils peuvent éprouver, nous sommes très ignorants sur ce sujet et ce n'est certainement pas parce qu'on ne réagit pas à la douleur qu'on n'en éprouve pas. Certaines personnes, qui ont récupéré leurs facultés ultérieurement, ont raconté ce qui se passait lorsqu'elles étaient dans le coma. Toutes affirment qu'un certain niveau de conscience persiste."
© Editions du Rocher, 2005.

Le devoir de solidarité ?
Professeur Louis Puybasset, Unité de NeuroAnesthésie-Réanimation, Département d'Anesthésie-Réanimation, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris :
"Madame, vous-même ou un de vos proches sera peut-être un jour receveur. Je ne doute pas que cela changera alors votre vision de cette médecine [de la transplantation d'organes] qui est une des plus belles qui soit, car elle donne véritablement la vie et exprime ce qu’est la solidarité humaine contre l’égoïsme et le repli sur soi."

M. Guy Benamozig est psychanalyste et anthropologue, il travaille dans le service du Professeur Louis Puybasset. Le 30/04/2008, il a été auditionné par la commission chargée de la Mission d’évaluation de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite Loi Léonetti. Cette commission est présidée par M. Léonetti. Les questions de la commission ont porté sur le respect par les équipes médicales (ou le non respect) de l'avis des proches, dont le droit de décision est inscrit dans la loi Léonetti. La commission a rappelé que, dans un service de réanimation où tout est mis en oeuvre pour parvenir à réanimer des patients dont le cerveau a subi des dégâts plus ou moins irréversibles, le contexte est celui d'un acharnement thérapeutique. Les cas sur lesquels ont porté la discussion entre la commission et M. Benamozig concernaient des cas de patients en état de coma profond et de patients en état de mort encéphalique. A l'issue de cette audition, M Benamozig a rappelé que sa présence en tant que psychanalyste au sein d'un service de réanimation (donc la présence d'un "psy" au sein d'un service où des patients se retrouvent en état de mort encéphalique, devenant de ce fait de potentiels donneurs d'organes) favorise le don d'organes : plus les familles seraient accompagnées lors du décès de leur proche qui se retrouve brutalement en état de mort encéphalique, plus les chances que ces familles autorisent le don d'organes seraient importantes.
==> Visionner l'audition de M. Guy Beanmozig : cliquer ici.
Lien : http://www.assemblee-nationale.fr/13/commissions/commissions-videos.asp

Claude Lafon, "De la biologie à la bioéthique" Ellipses, 2006 [Chapitre "La mort, le corps, l'esprit et la conscience", conclusion p. 58] :
"Ce conflit latent entre les droits individuels, les devoirs que nous avons envers les autres, et les droits que les autres ont sur nous, semble bien un des moteurs de l'universelle condition humaine. Il nous faut nous en accommoder."

La médiation éthique :
L'expérience de l'unité fonctionnelle éthique clinique du groupe hospitalier Cochin (Paris) : le 02/07/2008, le Dr. Véronique Fournier, responsable du Centre d'Ethique Clinique à l'hôpital Cochin (CEC), était entendue par la commission chargée de la Mission d’évaluation de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Léonetti. Le Dr. Fournier a présenté à M. Léonetti ainsi qu'à la commission qu'il préside l'activité du CEC, qui joue un rôle de médiation éthique entre les familles des patients hospitalisés et les équipes médicales soignantes, lorsque des conflits surviennent entre les deux parties. Les cas exposés par le Dr. Fournier concernaient des conflits survenant dans des situations de fin de vie. Le CEC peut être saisi par n'importe quel citoyen, ainsi que par les équipes soignantes. Les équipes de médiation éthique du CEC sont multi-disciplinaires (médecins, avocats, journalistes, sociologues, etc.), et interviennent afin de restaurer le dialogue entre les familles et les équipes soignantes en cas de conflit.
==> Vidéo de l'audition du Dr. Fournier : cliquer ici.
Lien : http://www.assemblee-nationale.fr/13/commissions/commissions-videos.asp

Extrait d'un courrier datant du 31/08/2007, adressé par le Dr. Nicolas Foureur, du Centre d'Ethique Clinique du groupe hospitalier Cochin-Saint Vincent de Paul, à Catherine Coste, auteur du weblog d'information "Ethique et transplantation d'organes" :
"Madame,
Nous avons bien pris note de l'existence de votre blog et de la page concernant le Centre d'éthique clinique. Votre descriptif est déjà bien complet et concorde bien à la réalité de notre pratique. Nous sommes très satisfaits de trouver notre place au coeur de votre présentation. Il nous arrive en effet d'être confrontés aux intéressantes questions éthiques que vous soulevez dans vos exposés. (...)"

Fin de vie et sédation (administration de calmants puissants ou sédatifs) :
Contexte : Mission d’évaluation de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Léonetti :
Sans qu'il soit question du don d'organes - rappelons que la loi Léonetti ne légifère pas sur le don d'organes, c'est la loi de bioéthique de 1994, révisée en 2004, qui règlemente le don d'organes - la question de la sédation lors d'une fin de vie dans les contextes de coma végétatif et de coma dépassé a été abordée par les intervenants suivants :
- M. le Professeur Elie Azoulay, auteur d’études sur le vécu des familles, service de réanimation à l’hôpital Saint-Louis :
http://www.assemblee-nationale.fr/13/commissions/droits-malades-20080625-4.asp

- Dr. Michèle Lévy-Soussan, responsable de l’unité mobile d’accompagnement et de soins palliatifs à l’hôpital La Pitié-Salpétrière depuis 2001 :
http://www.assemblee-nationale.fr/13/commissions/droits-malades-20080625-3.asp

- M. et Mme Pierra, parents de Hervé Pierra, décédé aujourd'hui, après huit ans de coma végétatif irréversible suite à une tentative de suicide. Aucune sédation profonde n'avait été prescrite par les médecins lors de l'extubation terminale de ce patient (arrêt des traitements aboutissant à la mort de Hervé : arrêt du respirateur artificiel qui le maintenait en vie). Confrontée à une agonie qui s'est étalée sur six jours et a été accompagnée de convulsions importantes, l'équipe médicale en charge de la fin de vie d'Hervé a maintenu que la sédation profonde n'était pas nécessaire, étant donné que le cerveau d'Hervé était si endommagé qu'il ne pouvait ressentir de douleur.
Vidéo du témoignage de M. et Mme Pierra face à la commission présidée par M. Jean Léonetti :
http://www.assemblee-nationale.fr/13/commissions/droits-malades-20080528-1.asp

Le 21/07/2008, le journal "Le Monde" a interviewé Jean Leonetti, député UMP chargé par le gouvernement d'une mission d'évaluation de la loi sur la fin de vie du 22 avril 2005 :

"Pour Jean Leonetti, la loi sur la fin de vie est encore très mal connue dans le milieu médical. Il dénonce le fait que beaucoup de gens continuent de mourir à l'hôpital en souffrant alors que la loi autorise le fait de calmer la douleur même si cela a pour second effet d'entraîner la mort.

Il explique que lorsque la médecine estime qu'il n'y a plus rien à faire, elle doit accompagner le malade jusqu'à l'endormissement. 'La sédation terminale n'est pas inscrite dans la loi ou le règlement, mais s'il faut l'écrire, on le fera', déclare-t-il." (source).

Religion(s) et transplantation d'organes :
Les grandes religions monothéistes prônent le devoir de charité, de solidarité. Mais prônent-elles ce devoir "par défaut" ? Le "thriller médical" de David Khayat pointe vers des zones grises de l'éthique médicale, auxquelles la religion n'oserait pas se mesurer ni s'attaquer.

Un "conflit mortel" entre science et religion, c'est ce qui apparaît dans le livre "Le Coffre aux âmes" (XO Editions, 2002) : entre un médecin qui vendrait son âme aux diables de la réincarnation (son âme, donc celle des autres) pour vous guérir, et un autre qui accompagne, soulage et guérit sans outrepasser les limites du progrès technique, médical et humain contemporain, ne seriez-vous pas un tout petit peu tenté(e) de choisir le premier ? Si c’est le cas, ouvrez donc la boîte de Pandore, celle du "Coffre aux âmes". Ce livre "met en lumière les enjeux d'une médecine qui repousse toujours plus loin la mort". Les âmes migrantes, qui sont en réalité les organes que l'on transplante, passent du corps du donneur à celui du receveur. Le rabbin qui assiste à cet étrange processus est dépassé, il s'enfuit sans s'expliquer ou presque. Résignation (démission ?) de la religion ? Celle-ci ne préfère-t-elle pas idéaliser la médecine, plutôt que de regarder en face ce qui arrive, quand "la médecine repousse toujours plus loin la mort" ? Laissé seul, le médecin se débattrait dans ces zones grises de l'éthique médicale... Dans l'extrait cité ci-dessous, un rabbin arrive au bloc opératoire. Il y a été amené par le Dr. David Levine, jeune interne au très prestigieux hôpital St Thomas à New York et héros de l'histoire, alors en plein désarroi.

[pp. 258-260 :] "Il enleva doucement son chapeau et son manteau, les posa sur une paillasse, sortit un livre de prières de sa poche et se mit à lire les bénédictions rituelles.
Il chantait d'une voix grave. Sa prière suppliait Dieu tout-puissant de protéger les âmes de ceux qui allaient le rejoindre. Il priait la gorge serrée par l'angoisse et ses prières n'en étaient que plus émouvantes.
Personne dans la pièce n'osait bouger. Les infirmières avaient reposé les perfusions qu'elles préparaient (...).
Puis le rabbin s'interrompit. L'inquiétude se lisait sur son visage. Il tourna en arrière les pages de son livre de prières et recommença. Au bout de deux minutes à peine, il s'interrompit de nouveau. Il retourna une fois de plus en arrière et reprit sa prière du début.
Mais encore une fois, il dut s'interrompre. Il rangea son livre dans sa poche, remit son chapeau et son manteau, souleva David en le prenant sous son épaule et l'emmena avec lui vers la porte. D'une voix à peine audible, il lui dit :
- Mon petit, je ne peux pas bénir les âmes de votre femme et de votre fils...
David le regardait, perplexe.
- Quoi ?
- Je ne peux pas bénir les âmes de votre femme et de votre enfant. Je ne peux pas car elles ne sont plus là.
- Comment, elles ne sont plus là ? hurla David.
Toujours aussi calmement, chuchotant, comme s'il voulait que cette discussion reste secrète, le rabbin poursuivit :
- Les âmes que je suis venu bénir sont déjà parties, elles ne sont plus là. C'est très étrange ce que j'ai ressenti tout à l'heure quand je priais. J'ai vu leurs âmes partir, quitter les corps que je bénissais. Je suis désolé, mon petit. J'ai peur. Je n'ai jamais vu, ni entendu parler d'une chose pareille. Des corps vivants mais sans âmes. J'ai eu l'impression d'une voix d'ange qui m'interdisait de poursuivre ma bénédiction. Ce qui se passe ici est terrible, surnaturel ! Je ne peux vous être d'aucun secours. Ce qui est en train de se produire devant nous tient à des forces de l'au-delà, à des mystères qui nous échappent, que nous n'avons pas même le droit d'aborder car ils sont d'essence divine. Ces mystères ne font pas partie de territoires ouverts à l'homme mais du champ spirituel où s'affrontent les forces du bien et du mal, où réside le souffle de la création. Un territoire que seuls les élus, les prophètes, peuvent appréhender sans risquer eux-mêmes de vouer leur âme à l'enfer éternel. Mon enfant, laissez faire ce qui est ordonné ! Nul ne peut plus rien y changer. Les âmes de ceux que vous aimez ne vont pas disparaître, elles vont continuer de vivre. La voix de l'ange me l'a dit. Elles sont simplement appelées ailleurs. Les bénir ne servirait à rien.
Sans ajouter un mot de plus, laissant David abasourdi par ces propos, le rabbin quitta la pièce. Sans se retourner, il marcha dans le couloir obscur jusqu'aux ascenseurs.
David sortit à son tour et chercha à rattraper le rabbin pour lui demander des explications. Il fit quelques pas en courant, mais le rabbin avait disparu."
© XO Editions, 2002.

A propos de l'éthique :
Catherine Coste, auteur du weblog d'information "Ethique et transplantation d'organes" :
Je ne suis pas dans le pourquoi, forcément intimidant, voire culpabilisant, mais plutôt dans le comment. Le pourquoi me semble plus définitif, dogmatique et figé (morbide ?) ; le comment plus constructif, plus ouvert à l’avenir. Il y a dans le pourquoi un côté "bilan figé" qui me déplaît. Je vois une différence entre le docteur qui demanderait à son patient "Pourquoi vous sentez-vous déprimé ?", ou "Pourquoi avez-vous pris 10 kgs ?", et celui qui demanderait à ce même patient :"Comment vous sentez-vous avec votre surpoids ?". Il me semble que le premier docteur est plus dans le jugement ; le second plus dans l'écoute. Il me semble que je préfèrerais avoir affaire au second docteur qu'au premier.
Dr. Marc Andronikof, chef du service des urgences, hôpital Antoine-Béclère, Clamart :
"Je pense que votre acception du 'pourquoi' est très réductrice alors qu'elle devrait être au contraire la question la plus ouverte qui soit : en effet incluant le 'comment' elle mène au Sens. L'interrogation sur le sens est l'interrogation éthique primordiale."


"Le Coffe aux âmes", roman du Professeur David Khayat


Le "Coffre aux âmes", paru aux Editions XO le 2 avril 2002, a été écrit par le Professeur David Khayat, cancérologue de renommée internationale, chef de service à l'hôpital de la Pitié-Salpétrière à Paris, professeur à l'Université Pierre et Marie Curie, fondateur du sommet mondial contre le cancer, à l'origine de la Charte de Paris contre le cancer. Dans ce "thriller médical" haletant s’affrontent la science et le sacré. Le "coffre" est un "container" spécial pour le transport d’organes, sorte de glacière dans laquelle les équipes chirurgicales de prélèvement d’organes qui officient le plus souvent en pleine nuit déposent le ou les précieux organes et tissus récupérés sur des morts "à cœur battant". La transplantation d’organes, c’est la migration des âmes qui se passe de nuit au bloc opératoire, tandis que quelqu’un est en train d’y mourir alors que dans un service voisin du même hôpital, un autre malade condamné par les médecins va pouvoir rester de ce monde grâce à l’âme supplémentaire dont il va pouvoir bénéficier. Le patient donneur d’organes est entré au bloc avec des organes encore viables. Ses organes sur le point d’être prélevés sont comparés à une âme entamant un processus de migration d’un corps à l’autre. Ce patient, dans le livre du Professeur Khayat, est d’ailleurs une femme enceinte. Est-ce pour nous rappeler que tout médecin qui s’occupe d’un patient en train de décéder a charge d’âme ?

Or donc, voici qu’à nouveau, une femme enceinte est en train de décéder de cette mort mystérieuse, ou "mort bleue" qui sévit dans le roman. Cette mort bleue n’est pas sans analogies avec la mort encéphalique, dite "mort invisible" car le patient en état de mort encéphalique semble simplement dormir : son corps est chaud et il respire, mais son cerveau est détruit. Cette Hélène, la femme enceinte du roman, n’est autre que l’épouse du médecin héros de l’histoire ! Elle porte son enfant. Autant dire que la lutte qui va opposer le Dr. David Levine, tentant de sauver sa femme et son enfant à naître, et le prestigieux Professeur Michael Bishop, qui vendrait son âme aux diables de la réincarnation pour sauver ses patients condamnés, va être sans merci. Ce Professeur Bishop, chef du service d’hématologie pédiatrique de l’hôpital St Thomas de New York, lauréat du grand prix de l’Académie mondiale de médecine, pratique donc des prélèvements d’organes sur donneurs décédés de la mort bleue, pardon, en état de mort encéphalique. Mais cette cause de décès, la mort bleue, ne serait-elle pas plutôt la résultante du prélèvement d’organes ? Dans le livre, la mort bleue n’apparaît chez les patients qu’une fois que leur âme a migré dans le corps d’un autre patient… Invisible ou à peine visible au début du processus qui conduit de la mort encéphalique au prélèvement d’organes (seuls les orteils d’Hélène sont bleus), la mort devient visible une fois le prélèvement réalisé. La mort bleue, c’est ce qui reste une fois que le donneur en état de mort encéphalique a été prélevé. Cette mort bleue s’étend alors sur tout le corps. C’est cela qui menace Hélène ! A tout prix, le Dr. Levine doit parvenir à stopper cette migration des âmes qui va être fatale à sa femme et à son enfant à naître. Quel est le devoir du médecin face à un patient mourant ? Ce médecin doit-il, à l’instar du Professeur Bishop, voler la mort de son patient afin que d’autres puissent bénéficier d’organes viables ? C’est la question que pose le "Coffre Aux âmes". Ce livre "met en lumière les enjeux d'une médecine qui repousse toujours plus loin la mort".

Claire Boileau, infirmière et anthropologue, a écrit en 2002 un ouvrage intitulé : "Dans le dédale du don d’organes : le cheminement de l’ethnologue", aux Editions des Archives Contemporaines. Citons un extrait de ce livre. Nous sommes à la fin des années 70, dans le contexte de la loi Caillavet, qui a précédé la loi de bioéthique de 1994. La loi Caillavet, adoptée en 1976, a mis en place le consentement présumé en France : "Des prélèvements peuvent être effectués à des fins thérapeutiques ou scientifiques sur le cadavre d’une personne n’ayant pas fait connaître de son vivant son refus d’un tel prélèvement (…)".

[Claire Boileau, ouvrage cité, p.55-56 :] "A l’interface entre les familles et les équipes médicales, plusieurs soignants se souviennent des stratégies auxquelles ils avaient recours, partagés entre le devoir professionnel, la volonté de participer à de futures greffes et la culpabilité de ne pas informer les familles : ‘On jouait à cache-cache avec les familles. Je me rappelle un débat là-dessus lors d’un colloque. On a commencé à en parler, c’était en 92 ou 93. C’était pas forcément bien vécu par tout le monde. Je me rappelle d’une fille très choquée par ça. Il fallait prélever en souhaitant que personne de la famille ne revienne... Evidemment, ça créait un malaise. On avait l’impression d’être voleur. Un infirmier se sentait très mal à l’époque. Il disait qu’il sentait une résistance même derrière la porte… Maintenant il est beaucoup plus à l’aise’, dit une infirmière.
L’une de ses collègues se souvient aussi : ‘il y a eu des cas vraiment gênants… Je vois encore la grand-mère expliquant à sa petite-fille que le cœur de sa maman était monté au ciel et … on venait de l’envoyer pour une greffe’. ‘C’était affreux’, conclut un infirmier qui travaillait dans le secteur à cette époque. ‘Une fois, il a fallu retarder la famille par tous les moyens. On avait commencé à prélever… on n’était pas fiers… ça non. Là on s’est dit : plus jamais ça.’ (...) Le consentement présumé du défunt et, de surcroît, entériné à l’insu des familles pouvait-il ou devait-il durer ? Etait-il légitime de tenir secrètes des pratiques qui, certes, avaient pour finalité de sauver autrui, mais qui s’appuyaient néanmoins sur le consentement par défaut du défunt et sur l’ignorance de la famille ?" Copyright 2002 CPI (Contemporary Publishing International)


Revenons au livre du Professeur Khayat : le Dr. Levine doit empêcher le détournement des âmes de sa femme et de son enfant à naître au profit d’autres petits patients leucémiques qui sont en train de s’éteindre dans un service voisin, au sein du même hôpital. Il s’agit de sa femme et de son bébé ! Les perspectives des deux parties, celle de Bishop et celle de Levine, sont-elles conciliables ? Dans "Le Coffre aux âmes", l’âme est plurielle, tout comme les organes transplantés, les consciences et les intérêts. La science et le sacré s’affrontent, pour la plus grande surprise du commun des mortels qui lit ce livre et qui n’a jamais assisté à un prélèvement d’âmes, pardon, d’organes.

Que contient la boîte de Pandore d’un grand hôpital New-Yorkais à la pointe de la technologie ? En ouvrant cette boîte, David Khayat nous révèle les arcanes majeurs et mineurs des plus grands services d’hématopédiatrie et d’obstétrique au monde, à St Thomas Hospital, New York. On s’attend à voir les démons de la science et les dieux ou demi-dieux de la religion s’entre-tuer, le Bon Dieu tirer le diable par la queue, "un thriller médical haletant", genre mystique. Au St Thomas Hospital, un toubib et sa femme se transforment en Orphée et Eurydice, un chef de service mondialement réputé en bonze tibétain pour le meilleur et pour le pire. Entre un médecin qui vendrait son âme aux diables de la réincarnation (son âme, donc celle des autres) pour vous guérir, et un autre qui accompagne, soulage et guérit sans outrepasser les limites du progrès technique, médical et humain contemporain, ne seriez-vous pas un tout petit peu tenté(e) de choisir le premier ? Si c’est le cas, ouvrez donc la boîte de Pandore, celle du "Coffre aux Ames". Un homme de science s’empare de la religion et des mythes indo-européens comme un dictateur le ferait du pouvoir lors d’un coup d’Etat. Le Professeur Bishop, chef du service d’hématologie pédiatrique de l’Hôpital Saint-Thomas, après un séjour dans un monastère secret sur les pentes de l’Himalaya, se transforme en machine infernale à sauver pour venger la mort des deux êtres qui lui étaient les plus chers. "Meurs et deviens". Tandis que la Mort Bleue, ou Syndrome de Steiner, sévit dans le service d’obstétrique, des enfants leucémiques condamnés à une mort imminente sont mystérieusement sauvés in-extemis dans le service voisin, celui d’hématopédiatrie. Un couloir sépare les deux services. Le Docteur Levine, jeune interne ayant travaillé dans les deux services et autant de dettes envers les morts (son meilleur ami) qu’envers les vivants (sa femme), va devoir élucider le mystère de la Mort Bleue. Le Centre for Disease Control de New York, le gardien du Coffre des Ames, les religions judéo-chrétiennes, le médecin "qui est là pour vous guérir, quels qu’en soient les risques, quel qu’en soit le prix"... Entrez dans la prestigieuse Fondation Greenspan dont les chefs de service sont les grands prix de l’Académie Nationale, et voyez comme ils ont charge d’âmes.

Les âmes migrantes, qui sont en réalité les organes que l'on transplante, passent du corps du donneur à celui du receveur. Le rabbin qui assiste à cet étrange processus est dépassé, il s'enfuit sans s'expliquer ou presque. Résignation (démission ?) de la religion ? Celle-ci ne préfère-t-elle pas idéaliser la médecine et se contenter de prôner la solidarité et la générosité, plutôt que de regarder en face ce qui arrive, quand "la médecine repousse toujours plus loin la mort" ? Laissé seul, le médecin se débattrait dans ces zones grises de l'éthique médicale... Dans l'extrait cité ci-dessous, un rabbin arrive au bloc opératoire. Il y a été amené par le Dr. David Levine, alors en plein désarroi car il a déjà découvert sur le corps de sa femme reposant inconsciente les premières atteintes de la mort bleue – pis encore, celles-ci menacent de s’emparer de tout le corps d’Hélène !

[pp. 258-260 :] "Il enleva doucement son chapeau et son manteau, les posa sur une paillasse, sortit un livre de prières de sa poche et se mit à lire les bénédictions rituelles. Il chantait d'une voix grave. Sa prière suppliait Dieu tout-puissant de protéger les âmes de ceux qui allaient le rejoindre. Il priait la gorge serrée par l'angoisse et ses prières n'en étaient que plus émouvantes. Personne dans la pièce n'osait bouger. Les infirmières avaient reposé les perfusions qu'elles préparaient (...). Puis le rabbin s'interrompit. L'inquiétude se lisait sur son visage. Il tourna en arrière les pages de son livre de prières et recommença. Au bout de deux minutes à peine, il s'interrompit de nouveau. Il retourna une fois de plus en arrière et reprit sa prière du début. Mais encore une fois, il dut s'interrompre. Il rangea son livre dans sa poche, remit son chapeau et son manteau, souleva David en le prenant sous son épaule et l'emmena avec lui vers la porte. D'une voix à peine audible, il lui dit :
- Mon petit, je ne peux pas bénir les âmes de votre femme et de votre fils...
David le regardait, perplexe.
- Quoi ?
- Je ne peux pas bénir les âmes de votre femme et de votre enfant. Je ne peux pas car elles ne sont plus là.
- Comment, elles ne sont plus là ? hurla David.
Toujours aussi calmement, chuchotant, comme s'il voulait que cette discussion reste secrète, le rabbin poursuivit :
- Les âmes que je suis venu bénir sont déjà parties, elles ne sont plus là. C'est très étrange ce que j'ai ressenti tout à l'heure quand je priais. J'ai vu leurs âmes partir, quitter les corps que je bénissais. Je suis désolé, mon petit. J'ai peur. Je n'ai jamais vu, ni entendu parler d'une chose pareille. Des corps vivants mais sans âmes. J'ai eu l'impression d'une voix d'ange qui m'interdisait de poursuivre ma bénédiction. Ce qui se passe ici est terrible, surnaturel ! Je ne peux vous être d'aucun secours. Ce qui est en train de se produire devant nous tient à des forces de l'au-delà, à des mystères qui nous échappent, que nous n'avons pas même le droit d'aborder car ils sont d'essence divine. Ces mystères ne font pas partie de territoires ouverts à l'homme mais du champ spirituel où s'affrontent les forces du bien et du mal, où réside le souffle de la création. Un territoire que seuls les élus, les prophètes, peuvent appréhender sans risquer eux-mêmes de vouer leur âme à l'enfer éternel. Mon enfant, laissez faire ce qui est ordonné ! Nul ne peut plus rien y changer. Les âmes de ceux que vous aimez ne vont pas disparaître, elles vont continuer de vivre. La voix de l'ange me l'a dit. Elles sont simplement appelées ailleurs. Les bénir ne servirait à rien.
Sans ajouter un mot de plus, laissant David abasourdi par ces propos, le rabbin quitta la pièce. Sans se retourner, il marcha dans le couloir obscur jusqu'aux ascenseurs. David sortit à son tour et chercha à rattraper le rabbin pour lui demander des explications. Il fit quelques pas en courant, mais le rabbin avait disparu." Copyright XO Editions, 2002.


Ne nous y trompons pas : le vrai thème de ce "thriller médical" est la déontologie médicale particulière que suppose le prélèvement d’organes sur donneur "décédé" : le médecin acteur des transplantations, les équipes chirurgicales pratiquant les prélèvements d’organes sur donneurs "décédés" sont obligés de pratiquer sur le patient donneur des gestes invasifs qui n’ont plus pour finalité le soin du patient, mais la simple conservation de ses organes. Or un médecin ne doit-il pas s’occuper de son patient, servir l’intérêt de ce patient en premier lieu, au lieu de sacrifier l’intérêt de ce patient au profit de celui des patients en attente de greffe ?

Le prestigieux Professeur Bishop sauve des vies, il passe pour un héros. Or le Docteur Levine, le voyant sur le point de prélever les organes de son épouse enceinte, le traite de salaud (p. 266). Le Professeur Bishop en est le premier surpris. Il lui était certes venu à l’esprit que l’obtention des organes à des fins de greffe passait par la mort d’un patient, mais que l’obtention des organes vole la mort du donneur, en quelque sorte, en lui volant son âme, voilà qui le dépassait. La loi du "Coffre aux âmes" laisse peu de place à l’héroïsme : le Docteur Levine explique à un Professeur Bishop ahuri :

[p.267] : "Chaque fois que tu sauvais une gamine en lui donnant une âme, tu tuais une femme enceinte pour lui prendre cette âme. Et ce soir, espèce de salaud, l’âme que tu es en train de voler pour sauver cette Jessy, c’est celle de ma femme, Hélène."

Cette déontologie médicale particulière que requiert le prélèvement d’organes sur donneur "décédé" est très vigoureusement questionnée dans le livre du Professeur Khayat : il y a tromperie, duperie, tout comme dans le passage de l’ouvrage de Claire Boileau cité plus haut, ou ... comme lors d’un adultère. Le Professeur Bishop fait croire (et croit) que la transplantation d’organes sauve des vies par miracle. Or il s’agit bien plus de déshabiller Pierre pour habiller Paul. Pierre n’est-il pas le cocu de l’histoire, surtout si la règle du donneur mort prévaut ? Quelle valeur aura le consentement éclairé de Pierre et ou celui de ses proches dans de telles conditions ? Pierre et ses proches ne risquent-ils pas d’être les dindons de la farce ? Hélène, la femme du Docteur Levine, celle dont l’âme a commencé à migrer vers un autre corps, celle que la mort bleue menace, est une épouse trompée. Le Docteur Levine commet en effet un acte d’adultère : il connaît une liaison avec le Professeur Emma Rosenfeld, qui dirige le service d’obstétrique de l’hôpital St Thomas à New York, dans lequel il va exercer, alors même que son épouse Hélène, qu’il aime tendrement, porte son enfant.

Et si Hélène, c’était un peu ce Pierre que l’on déshabille pour habiller Paul ? Et si le mari qui trompe sa femme découvre qu’il est lui-même le dindon de la farce ? Dans le livre, l’affrontement entre le Dr. Levine et le Professeur Bishop est violent. Ce dernier finira même par se suicider, déclarant au préalable qu’il avait opéré en toute bonne foi et qu’à aucun moment il n’avait eu conscience de voler des âmes.

Déroulons à nouveau le fil de l’histoire : au cours de son enquête sur les mystérieux meurtres qui se déroulent à l’hôpital St Thomas de New York, le Docteur Levine est amené à tromper son épouse Hélène. Ce n’est qu’en résolvant l’histoire de ces meurtres, pas si mystérieux que cela puisqu’il s’agissait en fait de transplantations d’organes, qu’il sera à même de réparer le tort qu’il a fait subir à son épouse, et d’obtenir son pardon. Ne pourrait-on pas dire que le problème de la déontologie médicale particulière, qui est propre aux transplantations d’organes, est, de près ou de loin, voire de très loin, comparable à une histoire d’adultère poussant le Docteur Levine dans les bras du Professeur Emma Rosenfeld ? La solution préconisée (la résolution des meurtres mystérieux) serait alors la suivante : seul l’abandon de la règle du donneur mort permettra de tenir un discours plus honnête, tenant de l’information et tournant résolument le dos à la tentation de la promotion du "don d’organes après la mort". Comparer la tentation de la démagogie à la tentation de l’adultère, c’est pousser le bouchon un peu loin ? Rappelons que la règle du donneur mort a force de loi en France : aucun prélèvement d'organes ne saurait avoir lieu sur un donneur mourant, ce serait un crime. L'état légal du patient donneur d'organes est donc celui d'un cadavre. L'état physiologique de ce même patient ne correspond cependant pas à celui légal, il y a un décalage entre les deux états. Dans le cas d'un donneur d'organes en état de mort encéphalique, le coeur bat encore, tandis que dans celui d'un donneur d'organes en état d'"arrêt cardio-respiratoire persistant", la mort du cerveau ne peut être vérifiée avant le prélèvement des organes. Les critères de définition de la mort, valables durant des millénaires avant les progrès de la réanimation, incluaient la destruction irréversible du cerveau, du coeur et des poumons. La défintion légale de la mort, en vigueur depuis 1968 suite aux progrès de la réanimation, est celle de la mort du cerveau. Les chirurgiens transplanteurs ont donc redéfini la mort, selon des critères qui permettent les transplantations d'organes.

Et si la résolution des mystérieux cas de mort bleue, c’était une pratique des transplantations d’organes qui ne signifierait plus que l’on "déshabille Pierre pour habiller Paul à l’insu de Pierre" ? Et si la résolution des mystérieux cas de mort bleue, c’était l’abandon de la "règle du donneur mort" ?

"Chaque fois que tu sauvais une gamine en lui donnant une âme, tu tuais une femme enceinte pour lui prendre cette âme. Et ce soir, espèce de salaud, l’âme que tu es en train de voler pour sauver cette Jessy, c’est celle de ma femme, Hélène."


Voler signifie dérober un bien à l’insu du propriétaire de ce bien. Y-a-t-il toujours vol si le propriétaire est conscient de ce "vol" ? Ce vol ne deviendrait-il pas un don ?

Que préférez-vous ?

(1) Qu’on dise à vos proches que vous êtes mort, même si ce n’est pas tout à fait vrai, afin de pouvoir prélever vos organes ? Oubliez alors la question de la douleur lors du prélèvement de vos organes : elle n’est pas pertinente. De toute façon, un donneur d’organes "mort" n’est pas anesthésié en continu. Oubliez alors le fait que les équipes médicales doivent réanimer des patients avant le prélèvement d’organes. Que cette réanimation est douloureuse (aussi) pour les équipes médicales qui en ont la charge. Réanimé ou pas, vous êtes mort et un mort, ça n’a mal nulle part. Bannissez toute tentative d’une représentation réaliste du prélèvement de vos organes à votre décès et ne pensez qu’à une chose : vous êtes généreux. (Orientation française)
(2) Que de votre vivant, ayant réfléchi à votre fin de vie, vous puissiez envisager de donner vos organes et tissus encore viables si la fin des traitements palliatifs était envisagée tandis qu’il serait malheureusement devenu inutile de poursuivre des soins ? La question de la sédation terminale serait alors envisagée au préalable du prélèvement d’organes. Le problème de la douleur (anesthésie, sédation terminale) ne serait pas balayé sous le tapis. Une personne en fin de vie a droit à une sédation. (Orientation américaine).

Où est-on plus généreux ? Dans le choix (1) ou dans le choix (2) ?

Désolée, mais en fait vous n’avez pas le choix. (2) n’est pas une option en France. Quelle différence cela fait-il ? Je répondrai à cette question par une autre : le Professeur Khayat aurait-il écrit ce même thriller médical "où la science et le sacré s’affrontent" si la "règle du donneur mort" existait en France sous une autre forme, rendant l’option (2) possible ? Une précision : la loi Léonetti, dite loi sur la fin de vie, datant d’avril 2005, concerne les soins palliatifs dont devraient bénéficier tous les patients en fin de vie – à l’exception des donneurs d’organes morts, qui n’ont plus les droits civiques de la personne en fin de vie.

Bien entendu, le livre du Professeur Khayat ne pose pas explicitement la question d’un choix entre les options (1) et (2).

"David (...) se mit à courir vers sa femme et son enfant" est la dernière phrase du livre.

Comment l’interpréter ? Le "Coffre aux âmes" contient indéniablement une réflexion éthique sur le constat de décès du donneur mourant dans le cadre des transplantations d’organes. Par le biais de la fiction, cette réflexion éthique échappe à la pression idéologique de la règle du donneur mort. Est-ce à dire que le "Coffre aux âmes" constituerait une plaidoirie contre le don d’organes ? Affirmer cela reviendrait à souscrire à la logique selon laquelle toute non-promotion du don d’organes ne pourrait constituer une information pertinente. "Il faut sortir des dogmes avec lesquels on jongle pour justifier les transplantations d’organes", écrivait le Professeur Bernard Debré en 2005. De son côté, le Professeur David Khayat a montré en 2002 qu’il était possible de tenir un discours sur les transplantations d’organes capable de s’affranchir de la promotion du don et de la règle du donneur mort.

N.B. : l’auteur de ces lignes signale que le Professeur David Khayat n’a pas eu connaissance de cette interprétation de son livre "Le Coffre aux âmes". Cette interprétation n’engage donc pas la responsabilité de l’auteur du roman.

Bernard Debré : "La Revanche du serpent ou la fin de l'homo sapiens"


Le professeur Bernard Debré est docteur en médecine, professeur des universités, chef de service d'urologie de l'hôpital Cochin, chef de service à l'hôpital East de Shanghai et membre du comité national d'éthique pour les sciences de la vie et de la recherche. Il est l'auteur, entre autres ouvrages au cherche midi, de "Nous t'avons tant aimé : L'euthanasie, l'impossible loi" ainsi que, en collaboration avec le professeur Philippe Even, de "Savoir et pouvoir : Pour une nouvelle politique de la recherche et du médicament" et "Avertissement aux malades, aux médecins et aux élus". Le 20 octobre 2005, il a publié aux Editions du Cherche-Midi un livre intitulé "La revanche du serpent ou la fin de l'homo sapiens". Ce livre constitue un vibrant plaidoyer en faveur de la recherche sur les cellules souches, y compris les cellules souches embryonnaires. Le Professeur Debré défend le point de vue selon lequel la réponse aux problèmes soulevés par les transplantations d’organes – principalement "le douloureux problème de la pénurie" de greffons – passera par ce qu’il appelle "le clonage thérapeutique" : le Professeur Debré dénonce "les dogmes avec lesquels on jongle pour justifier les prélèvements d’organes" et prône la nécessité d’une véritable information du grand public, afin que celui-ci prenne conscience des enjeux des recherches sur la médecine régénératrice (les cellules souches adultes et embryonnaires), et surtout du retard de la France dans ce domaine, ce retard étant dû à la carence d’information du grand public et, si on lit entre les lignes, au lobbying passé (actuel ?) de laboratoires pharmaceutiques et d’acteurs des transplantations.

==> Lire la fiche de lecture : clic (document PDF, 7 pages)

Une fiche de lecture sur le dernier livre du Professeur Bernard Debré, "Dictionnaire amoureux de la médecine", paru le 4 septembre 2008 aux Editions Plon, est en cours de préparation.

Présentation de l'éditeur :
"La médecine et la religion ont longtemps dormi clans le même lit. Puis progressivement le divorce a été consommé. Nous arrivons maintenant à un antagonisme entre la science et la foi. Les premiers médecins en effet étaient tout aussi bien philosophes, religieux que barbiers. Progressivement sont apparues, avec un esprit plus rationnel, des études d'abord anatomiques, physiologiques ensuite. Les développements des technologies modernes nous apprennent à comprendre l'homme dans ses constituants les plus intimes, qu'il s'agisse des organes mais également des cellules. Avec l'inscription du génome, le grand livre de la vie vient d'être décrypté. À travers ce dictionnaire forcément personnel, on voit vivre, apparaître et s'épanouir la médecine, la chirurgie, la physiologie, en un mot l'homme dans toute sa diversité et sa complexité." (source)

L’hôpital qui guérit la leucémie d’Etienne

J'ai postulé au Prix Flaubert 2008. Voici ma nouvelle :

Noémie, sept ans, et sa maman arrivent devant le nouvel hôpital spécialisé en médecine régénératrice. Etienne, dix ans, y est hospitalisé depuis quatre jours. La mère et la fille traversent le hall, à l’accueil une hôtesse leur remet la nouvelle brochure de l’hôpital.

- Suivez le robot, il vous conduira à la chambre d’Etienne, dit l’hôtesse. La mère, tandis qu’elle chemine en tenant sa fille par la main, raconte un moment très fort : la naissance du grand frère de Noémie.

- Ton frère et toi êtes venus au monde dans la même maternité. Quand Etienne est né, les sages-femmes ont récupéré le placenta. Le placenta, c’est comme une bouillie. C’est ce qui nourrit le bébé tant qu’il est porté par sa mère.
- Pourquoi elles ont fait ça, les Sagefemme ?
- Pour conserver ce qu’il reste de bouillie. Elles ont aussi conservé le cordon ombilical d’Etienne. Une fois que le bébé est né, la sage-femme coupe le cordon.
- Et où elles l’ont rangé, la bouillie et le cordon, les Sagefemme ?
- Nulle part. Elles en ont simplement extrait un peu de sang. Et ce sang, elles l’ont mis dans un frigo spécial qui peut le conserver très longtemps.
- Et toi, tu étais où ?
- Pendant ce temps, j’étais allongée sur mon lit avec Bébé Etienne posé sur moi. Il avait replié les jambes comme une grenouille et je le serrais fort contre moi. J’étais folle de joie. Quand tu es née, j’ai connu la même joie intense. Et maintenant, pour soigner Etienne, on a besoin de ce qui a été conservé dans le frigo spécial pendant dix ans. Grâce à ce trésor, il va pouvoir guérir.
- Bonjour grand garçon ! Noémie imitait sa mère, tandis que toutes deux entraient dans la chambre d’Etienne quelques instants plus tard. Elle savait que son frère n’aimait pas quand maman l’appelait comme ça. Une infirmière ne tarda pas à venir saluer les nouveaux arrivants.
- Tout va bien, dit-elle à la mère, tandis que Noémie s’était lancée dans un récit peuplé de sages-femmes, de trésors et de mamans folles de joie. L’infirmière emmena Noémie boire un chocolat.

Restés seuls, Etienne et sa mère découvrent la nouvelle brochure de l’hôpital. Comment le sang de cordon permet-il de guérir de la leucémie ? Etienne veut tout savoir. Sa mère lui explique comment l’hôpital soigne sa leucémie.

- Tu es venu au monde dans une maternité pilote. A l’époque, cette maternité travaillait avec la première banque de sang de cordon. Cette banque stockait le sang récupéré à partir du cordon ombilical et du placenta, après chaque accouchement. Toutes les mamans qui accouchaient pouvaient donner leur placenta et le cordon ombilical qui est coupé à la naissance des bébés.
- Les mamans voulaient bien ?
- Oui, et ça ne faisait pas mal du tout.
- Et ensuite ?
- Ensuite, des scientifiques ont découvert que le sang récupéré à partir du cordon ombilical et du placenta pouvait guérir des maladies du sang, comme la leucémie. Et aussi aider des organes comme le foie à se régénérer. L’hôpital où tu es soigné est spécialisé dans ces recherches. C’est lui qui a récupéré le sang de cordon stocké à ta naissance.


- En contactant la banque de sang de cordon, celle qui est située dans l’hôpital. Les infirmières me l’ont montrée l’autre jour.
- C’est exact. Tu sais, la boîte à outils de papa...
Etienne interrompit sa mère :

- Je sais ! L’infirmière m’a déjà expliqué. Ce que conserve la banque de l’hôpital, ce sont nos boîtes à outils. Tout le monde en a une, puisque chaque bébé naît avec. Pour chaque maman qui fait don de son sang de cordon, c’est comme si elle ouvrait un compte en banque pour le bébé qui naît. Sauf qu’au lieu d’y mettre des sous, on y met la boîte à outils que la banque conserve pendant très-très-très longtemps. Pour que ça puisse servir un jour. Je viens de me servir de ma boîte à outils. Ou plutôt, le docteur s’en est servi pour moi. Il m’a expliqué que ces boîtes à outils, ce sont nos cellules souches. Celles du sang de cordon permettent de guérir de la leucémie.
- Et aussi de régénérer certains organes. La brochure t’explique que les transplantations d’organes, c’est ce qui existait avant la médecine régénératrice.
- Maintenant, on n’a presque plus besoin des transplantations d’organes ! Ce qui se passait avant, c’est que beaucoup de gens mouraient sans pouvoir être greffés, car il y avait une pénurie de donneurs d’organes. Et il y avait aussi le problème du rejet du greffon : certains greffés faisaient un rejet du greffon qu’ils avaient reçu et ils pouvaient en mourir.
- Tous les greffés étaient obligés de prendre plein de médicaments qui, bien que pouvant leur apporter des maladies, étaient indispensables, car ils servaient à lutter contre le risque de rejet du greffon.

- Que c’était compliqué !
- Oui, mais maintenant, on peut régénérer des organes avec les cellules souches. Avec cette méthode, tous ces problèmes sont résolus !
- Ouf !
La mère observait son fils. Heureusement, Etienne ne serait jamais un petit garçon au teint pâle, avec de grands yeux tristes lui dévorant le visage, ayant à peine la force de bouger, comme ces enfants leucémiques du passé.
- La brochure explique aussi que les cellules souches, ça ne permet pas de guérir du cancer, ni de cloner les gens ! Je ne savais pas. Mais l’histoire des transplantations, le docteur me l’avait déjà racontée.
- Je ne savais pas que les docteurs étaient si bavards ! En tout cas, cette boîte à outils est magique : mon fils est guéri ! La mère serra son fils dans ses bras. Etienne est songeur : que serait-il arrivé si maman avait accouché dans une autre maternité ?
- Dis maman, est-ce que Noémie aussi…
- Bien sûr ! Noémie aussi !
- Dis maman, tu crois qu’un jour on sera immortels, si on découvre comment guérir le cancer ? La mère d’Etienne répondit que l’immortalité n’était sans doute pas dans la nature humaine. Qu’il s’agissait plutôt de combattre chaque nouvelle maladie ou épidémie qui apparaissait, au fur et à mesure.

Quelque chose naissait, à l’hôpital, entre la mère et le fils : une nouvelle complicité.

Problèmes de bioéthique ?

Vers une future loi de bioéthique ?

02/10/2008 : la France organisera, en 2009, des Etats généraux de la bioéthique. Le président de la République l'a confirmé, le mois dernier, en recevant Benoît XVI. Au menu de ces débats préparatoires, les sujets de grande envergure ne manqueront pas : développement des banques de sang de cordon sur le sol français, réexamen de la loi du consentement présumé au don de ses organes à sa mort (lire), débat sur les critères de définition de la mort (lire), prolongation de la dérogation (ou autorisation ? ou interdiction ?) pour l'autorisation des recherches sur les cellules souches embryonnaires, recherches sur les cellules souches adultes, encadrement juridique de la procréation médicalement assistée (PMA) et du diagnostic pré-implantatoire (DPI).

L'Agence de la biomédecine, issue d'une décision parlementaire, a été officiellement créée le 5 mai 2005 par décret dans le cadre de la loi de bioéthique du 6 août 2004. Depuis la date de son inauguration, le 10/05/2005, elle prend le relais de l'Etablissement Français des Greffes. Placée sous l'autorité de l'Etat, elle pilote l'ensemble des activités biomédicales et réfléchit aux nombreux problèmes de bioéthique. Chargée de promouvoir le don d'organes, elle orchestre également le discours public sur le don d'organes, et a donc une mission d'information des usagers de la santé.

La loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Léonetti, est en cours de réévaluation. Le but de cette loi et de sa réévaluation, conduite par le député Léonetti, auteur de cette loi, est de favoriser la diffusion d'une culture des soins palliatifs en France. Des auditions ont récemment eu lieu, dans le cadre de la Mission d’évaluation de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie (visionner).

On assiste à une accélération du développement des nouvelles techniques médicales (chirurgie minimalement invasive ou chirurgie assistée par ordinateur, chirurgie sans incision), aux progrès de la réanimation, qui sont les bienvenus mais qui créent cependant des situations inextricables (réanimation invasive de patients "décédés" afin de préserver leurs organes à des fins de transplantation, réanimation créant des situations de coma végétatif irréversible, voir l'affaire Pierra, etc.).

Actuellement, à partir d'une simple prise de sang effectuée sur une femme enceinte, il est possible de prédire les (non-) mutations de gènes de l'enfant à naître. Il est donc possible de savoir si la fille à naître fera un cancer du sein à 25 ans, par ex., ou développera une maladie d'Alzheimer, etc. Quelle information donner aux parents ? Ne risque-t-on pas d'assister à un "eugénisme", ou au minimum à un fort développement de la pratique du diagnostic pré-implantatoire, qui permet la sélection d'embryons sains dans le cadre d'une fécondation in vitro (FIV), l'embryon sélectionné étant introduit dans l'utérus maternel ? Faut-il, face à la pénurie de greffons, favoriser les recherches sur les cellules souches embryonnaires, afin de soutenir les progrès de la médecine régénératrice, celle qui demain permettra à nos organes de se régénérer, rendant caduques les transplantations d'organes ? Aujourd'hui, il est déjà possible d'obtenir, à partir d'une cellule de peau humaine, des cellules souches ayant les mêmes propriétés que les cellules souches embryonnaires, sans pour autant manipuler des cellules souches embryonnaires (ce qui pose des problèmes d'éthique), puisque ces cellules proviennent de cellules souches adultes, que l'on a maniplulées afin de les faire régresser au stade de cellules souches embryonnaires.

Dans ce contexte de grands bouleversements, il est indispensable que les usagers de la santé prennent part aux Etats généraux de la bioéthique, prévus au premier semestre 2009. Il s'agit de procéder à la révision des lois de bioéthique de 2004, actuellement en vigueur. Ce weblog d'information, Ethique et Transplantation d'organes, se consacre à la réflexion sur les questions d'éthique soulevées par la pratique des transplantations d'organes, et au rôle des progrès dans le domaine de la médecine régénératrice (cellules souches), qui pourraient bien apporter une réponse au douloureux problème de la pénurie d'organes.

Le constat de décès du donneur sur le plan de l'éthique

La seule science médicale échoue à définir avec certitude le début et la fin de la vie. Découlent de cette incapacité ou incertitude les problèmes éthiques posés par les recherches sur les cellules souches embryonnaires (début de la vie), ainsi que ceux posés par les prélèvements d'organes sur les donneurs "décédés" (fin de la vie).
Les seuls critères médicaux scientifiques ne permettent pas de définir avec certitude le moment de la mort. "La mort était un mystère, elle est devenue un problème" (un philosophe cité par le Dr Guy Freys en mars 2007). Cela est d'autant plus vrai depuis la pratique des prélèvements d'organes à partir de donneurs "décédés". Ces mêmes critères médicaux purement scientifiques échouent à définir le début de la vie, d'où la polémique sur l'utilisation des cellules souches embryonnaires dans les recherches :
"Depuis près d'une décennie, on assiste ainsi à l'affrontement de ceux qui postulent que la vie humaine commence au moment de la fécondation de l'ovocyte par un spermatozoïde et ceux pour qui un embryon obtenu par fécondation in vitro et ayant atteint le stade de blastocyste (au cinquième jour de son développement, avant son implantation dans la muqueuse utérine) ne saurait être considéré comme une personne."
(Jean-Yves Nau, journaliste au Monde)

1.-) Les cellules souches embryonnaires :
"On voit des biologistes s'investir exclusivement dans les recherches sur les cellules souches adultes (présentes dans différents tissus de l'organisme ou dans le sang du cordon ombilical) et des catholiques accepter le principe de la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

En France, ces questions ont nourri de multiples réflexions, débats et rapports. La loi de bioéthique de 2004 pose ainsi le principe que les recherches sur les lignées de cellules souches embryonnaires humaines sont interdites. Tout en organisant un système temporaire de dérogations permettant de mener ces mêmes recherches. Ces dérogations sont accordées sous l'égide de l'Agence de biomédecine. Une quarantaine d'autorisations ont été délivrées en France à 35 équipes. La situation pourrait radicalement changer avec la révision de la loi prévue en 2009, mais qui devrait patienter jusqu'en 2010.

L'autre grand questionnement éthique est celui de l'usage qui peut ou non être fait des cellules souches adultes contenues dans le sang du cordon ombilical. Grâce aux recherches lancées en France par le professeur Eliane Gluckman (hôpital Saint-Louis, Paris), on sait que le recours à ces cellules permet de guérir certains enfants atteints de graves maladies sanguines. Sur le modèle du système transfusionnel, un réseau international de banques a été mis en place, fondé sur le don de ces cellules. Or on assiste au développement, dans de nombreux pays industriels, de banques privées proposant aux parents d'assurer la conservation de ces cellules qui pourraient, le cas échéant, être utilisées au bénéfice de l'enfant. La France s'oppose, pour l'heure, à l'implantation de telles entreprises sur son sol."
(Jean-Yves Nau, article du Monde, 14/12/2007 : "cellules souches : le débat éthique dépasse le clivage science-religion")

2.-) Les prélèvements d'organes sur donneurs "décédés" :
Parler des transplantations d'organes, c'est aussi parler des prélèvements d'organes, qui se font souvent sur des donneurs "décédés" : ces donneurs se trouvent en état de mort encéphalique, en état de mort cérébrale, ou encore en arrêt cardiaque : dans ce dernier cas de figure, il s'agit de prélèvements d'organes "à coeur arrêté", suite à un échec des tentatives de réanimation sur une personne qui se trouve en arrêt cardiaque.

Ces donneurs décédés, quel statut ont-ils exactement ? Sont-ils morts, mourants, qu'entend-on par définition de la mort ?

Tous les dictionnaires définissent la mort de la manière suivante : "qui a cessé de vivre". Le problème est donc de définir la cessation de la vie. "La mort est en fait un processus, où la vie s'éteint au fur et à mesure, comme le coucher du soleil. Sur les peintures qui représentent la mort, la personne est vivante et elle attend la mort. Cette difficulté à définir la cessation de la vie a existé de tout temps. Si on veut être certain d'être mort, il faut attendre la putréfaction. C'est du reste ce qui s'est pratiqué dans beaucoup de civilisations..." (Dr. Guy Freys, mars 2007)

En quoi le constat de décès pour un donneur d'organes potentiel diffère-t-il d'un constat de décès dans d'autres cas ?
Comprendre les spécificités et problèmes liés au constat du décès dans le cadre des prélèvements d'organes sur donneurs "décédés", c'est aussi comprendre la difficulté qui se pose lorsque l'on tente de se faire une idée de ce que sera(it) notre mort : notre propre représentation de la mort. Or il convient de respecter la représentation de chacun au sujet de la mort.

Ces questions sont rarement mises en avant dans le discours public sur le don d'organes, nous en voulons pour preuve que s'il existe un parent pauvre de la communication grand public sur le sujet, c'est bien la mort encéphalique, mais on pourrait tout aussi bien citer la pratique des prélèvements d'organes "à coeur arrêté".

Donneur mort ou donneur en fin de vie ?

Le sujet de ce weblog d'information intitulé "Ethique et transplantation d'organes" risque de paraître choquant, voire cynique (il traite de la mort), en tout cas il vous semblera aller résolument à rebrousse-poil du politiquement correct : on ne doit pas se poser la question de la mort en ce qui concerne le donneur d'organes "décédé" : la seule chose qui compte, c'est que les organes récupérés puissent aider d'autres patients en attente de greffe. On ne doit pas non plus se poser la question de l'éthique du malade. Ce serait de mauvais goût. Et pourtant...

Le don de ses organes à sa mort n'a rien à voir avec le don de son corps à la science après sa mort. Le don de ses organes est régi par la loi du 22 décembre 1976, dite loi Caillavet. Le don du corps à la science relève de la loi du 17 novembre 1887, toujours en vigueur. Pourquoi une telle différence entre les deux cas de figure ? Ne sagit-il pas d'un don après sa mort dans les deux cas ? Le fait que les deux formes de don sont régies par deux législations bien distinctes donne déjà un premier élément de réponse : non, il ne s'agit pas de la même forme de don. Le don de son corps à la science n'a aucune visée thérapeutique, alors que dans le cas du don de ses organes, il s'agit bel et bien de fournir des greffons à des malades. Dans le premier cas, le corps "donné à la science" est un corps rigide et froid. Dans le second cas, il s'agit d'un patient donneur d'organes potentiel. Ce patient n'est pas encore tout à fait du côté de la mort, mais il n'est plus du côté de la vie. Son état est irréversible, et c'est sur ce critère de l'irréversibilité que se basent les définitions de la mort qui permettent le prélèvement d'organes.

Il faut savoir que dans tous les cas de prélèvement d'organes sur donneur "décédé", ce donneur est en réalité un patient engagé dans un processus de mort, et donc pas encore décédé. La différence n'est pas anodine. Aucune information grand public n'existe à ce sujet. Pourquoi ? Qu'est-ce que ça fait, au juste, cette différence ? Ce sont là des questions auxquelles ce weblog d'information tente de répondre.


Voici pour commencer le témoignage d'un médecin urgentiste, chef du service des urgences à l'hôpital Antoine-Béclère, Clamart : le Docteur Marc Andronikof (MA). Il répondait début juin 2007 aux questions suivantes :

"A-t-on des statistiques sur les résultats des greffes ? Les taux de réussite ?"

MA : "Il est très difficile de savoir le gain réel sur la survie des transplantés. Pour la transplantation rénale, du temps où j'étais impliqué, on disait qu'on ne gagnait rien en survie mais en qualité de vie. Ce qui est certain, quand cela marche et le temps que cela marche. J'ai vu des gens transformés par leur greffe rénale et des gens qui n'en pouvaient plus des complications des immunosuppresseurs et regrettaient la dialyse."

"Y a-t-il eu des évaluations objectives, notamment sur le gain réel, par rapport à d’autres traitements ?"

MA : "Pour les transplantations des organes vitaux (comme pour les dialysés du reste) il faudrait tirer au sort les malades (ceux qui seront transplantés contre ceux qui auraient un traitement sans transplantation). Cela n'a jamais été fait me semble-t-il. Ce qu'on sait c'est que dans des cas manifestement désespérés, (hépatite fulminante, cardiomyopathie terminale) la transplantation réussie évite une mort à courte échéance. Il y a des statistiques officielles de survie après transplantation à 1, 5 et 10 ans par organe (mais non comparatives comme je le disais)."

"Comment peut-on parler de don alors que l’on est tous déclarés a priori donneurs ? Ne devrait-on pas parler de devoir ? D’impôt en nature ? Ce procédé ne peut-il s’apparenter à un procédé de renversement de la charge de la preuve ?"

[Catherine Coste] : Lorsqu'on souhaite s'oppposer au prélèvement de ses organes à sa mort, le terme juridique correspondant à ce cas de figure est : "inversion de présomption" (puisque le consentement présumé est inscrit dans la loi en France : qui ne s'y est pas opposé consent au prélèvement). "Opt out" est le terme anglo-saxon pour le consentement présumé. Il exprime le fait que pour refuser le don de ses organes dans un tel système juridique, le citoyen doit accomplir une démarche administrative pour s'opposer au don de ses organes. Le consentement explicite est la forme juridique à l'opposé : les anglo-saxons parlent de forme dite : "opt in", car dans ce cas il faut accomplir une démarche si on souhaite être donneur d'organes à son décès.

"La nécessité d’'opérer' d’urgence le 'donneur' pour préserver l’intérêt du receveur, ne nuit-elle pas à l’efficacité des soins dont il aurait pu bénéficier ?"

MA : "Il est évident, et ce n'est nié par personne, que les soins au 'donneur' sont profondément modifiés lors de l'optique d'un prélèvement. C'est tout à fait incompatible, à mon avis, (et ce devrait être l'avis de tout philosophe et de tout médecin honnête) avec une prise en charge médicale 'éthique'".

"N’arrive-t-il pas qu’un accidenté soit maintenu en survie artificielle, le temps de trouver un receveur ? Autrement dit, l’intérêt des 'donneurs' n’interfère-t-il pas avec celui des receveurs ?"

MA : "Le 'donneur' perd sa qualité d'être humain, de malade, il est réduit à l'état de 'moyen', de pourvoyeur d'organes. La qualité de relation médecin/malade est par là totalement pervertie puisque le médecin ne poursuit plus le bien de celui qu'il a en charge. Au mieux, on est au pire de l'acharnement thérapeutique. Je ne comprends toujours pas que nos philosophes et chantres de l'éthique à tout crin n'aient jamais exposé 'ex cathedra' ces considérations simples. Ce silence est lui aussi scandaleux."

"Ne peut-on voir dans toutes ces dispositions la main des lobbies des professions concernées ? L’intérêt des receveurs et celui des lobbies étant a priori convergents ?"

MA : "Pour les lobbies : oui, oui et oui. Si vous supprimez la greffe, c'est tout un pan de l'économie suisse et mondiale qui s'effondre et des services hospitaliers, et des nominations etc. etc."

"Le 'donneur' est-il toujours anesthésié ?"

MA : "Le 'donneur' est anesthésié, c'est aussi ouvertement écrit dans les manuels : pour empêcher les sautes de tension, les contractions musculaires etc. tout cela sur quelqu'un de soi-disant mort !"

Le donneur est-il anesthésié en continu ?
Non. Voici les explications du Professeur Louis PUYBASSET, Unité de NeuroAnesthésie-Réanimation, Département d'Anesthésie-Réanimation, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière; 47-83, Bd de l'hôpital; 75013, Paris, France.

[10/09/2005] "Je suis responsable d’une réanimation de neurochirurgie qui s’occupe beaucoup de prélèvements d’organes. Le diagnostic de mort cérébrale en France est le plus rigoureux du monde. Il repose sur la conjonction d’un examen clinique indiscutable et de 2 EEG plats en normothermie ou d’un angioscanner ou d’une artériographie montrant une perfusion nulle du cerveau. Il n’en est pas de même dans d’autres pays où vos craintes pourraient être partiellement justifiées (USA, Angleterre où ces examens ne sont pas requis).

Je peux vous affirmer qu’avec une telle démarche, les patients prélevés n’ont réellement plus aucune fonction cérébrale. J’en veux pour preuve que tous ceux pour lesquels la famille refuse et que nous extubons décèdent dans les quelques minutes qui suivent.

Cela n’empêche pas que des réactions médullaires peuvent persister chez ces patients, comme cela survient chez les tétraplégiques, si la moelle reste encore vascularisée. Ceci peut parfois être responsable de mouvements automatiques des membres à la stimulation douloureuse qui peuvent être impressionnant. C’est la raison pour laquelle ces patients sont le plus souvent maintenus sous morphine à petites doses.

Le problème de la réanimation de ces patients en vue de prélèvements est différent. Je vous répondrai que cette réanimation est limitée dans le temps et qu’elle est douloureuse pour les soignants. Si nous faisons cela, ce n’est pas pour faire souffrir une famille mais pour sauver d’autres vies. Je vous recommande très vivement d’ouvrir votre blog à des receveurs d’organes qui doivent leur vie aux dévouement de ces médecins, de ces infirmières et des familles de donneurs qui pourraient voir certains des propos que vous rapportez comme une atteinte à leur honneur, voire les qualifier de diffamatoires.

Madame, vous-mêmes ou un de vos proches sera peut-être un jour receveur. Je ne doute pas que cela changera alors votre vision de cette médecine qui est une des plus belle qui soit car elle donne véritablement la vie et exprime ce qu’est la solidarité humaine contre l’égoïsme et le repli sur soi."