Scientific MOOCs follower. Author of Airpocalypse, a techno-medical thriller (Out Summer 2017)


Welcome to the digital era of biology (and to this modest blog I started in early 2005).

To cure many diseases, like cancer or cystic fibrosis, we will need to target genes (mutations, for ex.), not organs! I am convinced that the future of replacement medicine (organ transplant) is genomics (the science of the human genome). In 10 years we will be replacing (modifying) genes; not organs!


Anticipating the $100 genome era and the P4™ medicine revolution. P4 Medicine (Predictive, Personalized, Preventive, & Participatory): Catalyzing a Revolution from Reactive to Proactive Medicine.


I am an early adopter of scientific MOOCs. I've earned myself four MIT digital diplomas: 7.00x, 7.28x1, 7.28.x2 and 7QBWx. Instructor of 7.00x: Eric Lander PhD.

Upcoming books: Airpocalypse, a medical thriller (action taking place in Beijing) 2017; Jesus CRISPR Superstar, a sci-fi -- French title: La Passion du CRISPR (2018).

I love Genomics. Would you rather donate your data, or... your vital organs? Imagine all the people sharing their data...

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"Faut-il repenser le système d'obtention des organes ? Le concept de l'appropriation conditionnelle par la société."

Et si l'erreur, c'était de penser que le don d'organes, issu d'un miracle de générosité, d'une prouesse logistique et technique, peut être industrialisé ?

Aujourd'hui, le consentement présumé est inscrit dans la loi : toute personne ne s'y étant pas opposée en faisant savoir son refus auprès du Registre National des Refus, est présumée consentir au don de ses organes à sa mort. Ce Registre National des Refus est géré par l'Agence de la biomédecine, qui a pris le relais de l'Etablissement Français des Greffes en mai 2005. L'Agence de la biomédecine gère également la liste nationale d'attente, sur laquelle tous les patients en attente de greffe sont inscrits, et la répartition des greffons. La mission de l'Agence, inscrite dans ses statuts et définie par le gouvernement, est de promouvoir le don d'organes. Très peu de personnes sont inscrites sur le Registre National des Refus. D'autre part, la nature bicéphale de l'Agence de la biomédecine, qui gère à la fois le don et le refus du don d'organes, pose des problèmes d'éthique. L'Agence orchestre le discours public sur le don d'organes, elle est donc l'auteur des campagnes de communication visant à promouvoir le don d'organes. Certaines de ces campagnes visent à encourager les usagers de la santé à demander leur carte de donneur d'organes, or cette démarche est problématique : du fait du consentement présumé inscrit dans la loi, toute personne est supposée consentir au don de ses organes à sa mort, sauf refus exprimé de son vivant. La carte de donneur d'organes n'a donc pas de valeur juridique en France, pays du "consentement présumé". Cette carte aurait valeur juridique dans les pays du "consentement explicite" (Allemagne, Suisse, GB, USA ).

D'où la situation suivante en France : il y a risque d'induire en erreur l'usager de la santé, qui peut croire que s'il ne demande pas sa carte de donneur d'organes, il est contre le "don". Or il est présumé consentant, avec ou sans carte de donneur d'organes ! C'est dans les pays où le "consentement explicite" prévaut (Allemagne, Suisse, GB, USA) que la carte de donneur d'organes a une valeur juridique : si l'usager de la santé consent au don de ses organes à sa mort, il doit faire la démarche de demander une carte de donneur d'organes. Mais ce n'est pas le cas en France, pays du "consentement présumé", où l'usager de la santé ne doit faire aucune démarche pour exprimer son consentement au don de ses organes à sa mort, puisque ce consentement est implicite ! Redisons-le clairement : en France, dans le système actuel, la carte de donneur d'organes n'a aucune valeur juridique.

Que se passe-t-il en France dans les faits ? La loi du "consentement implicite" est-elle strictement appliquée ? La réponse est non. Avant de prélever les organes d'un patient en état de "mort encéphalique" ou en "arrêt cardio-respiratoire persistant" (ce dernier état permettant le prélèvement d'organes, les reins essentiellement, "à coeur arrêté"), les équipes de coordination des transplantations d'organes demandent toujours l'autorisation des proches, qui normalement doivent apporter un témoignage concernant la position du "défunt" sur le don d'organes, et non donner leur avis sur la question du don d'organes. Or du fait du consentement présumé, cette autorisation ne devrait pas être demandée aux proches : qui n'a rien dit de son vivant consent au prélèvement d'organes.

Selon le Professeur Henri Kreis, chef du service de néphrologie, transplantation rénale à Necker-Enfants malades, le système d'obtention des organes repose sur la bonne volonté ou solidarité des proches confrontés au don d'organes. Or la solidarité est, par définition, limitée (relative) et imprédictible. Dans de telles conditions, "il peut sembler mal aisé de fonder un programme thérapeutique d’importance majeure sur la bonne volonté et la charité." Face à ce problème, le Professeur Kreis défend le "concept de l'appropriation 'conditionnelle' par la société du corps humain". Ce concept viendrait remplacer le système juridique actuellement en place, à savoir celui du "consentement présumé". Ce concept de l'"appropriation conditionnelle" pourrait, selon le Professeur Kreis, "représenter la véritable solution à la question de l'obtention des organes, à condition qu'il soit accepté par la société et rendu conditionnel par la prise en considération du refus de l'individu". Le Professeur Kreis précise qu'"(...) afin de respecter le principe d'autonomie, une société qui souhaiterait utiliser ce concept d'appropriation pour favoriser la collecte des organes devrait accepter le refus de l'individu, mais pas celui de la famille". Pour le Professeur Kreis, le système du don, basé sur l'altruisme et la générosité, ne marche pas : "Le chemin de la bonne volonté semble être un cul-de-sac." Au préalable de la mise en place d'un tel système "d'appropriation conditionnelle", il conviendrait de débattre de l'importance de la transplantation pour la société.

Dans sa présentation de 2004, intitulée : "Faut-il repenser le système d'obtention des organes ?", le Professeur Kreis pose les jalons d'un nouveau système d'obtention des organes, qui passerait par "le concept de l'appropriation 'conditionnelle' par la société." Ce système équivaut à celui du "consentement présumé", à condition qu'il soit strictement appliqué, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, puisqu'on fait appel au consentement des proches.
Ce que propose le Professeur Kreis, c'est un "consentement présumé" qui n'impliquerait pas le témoignage des proches sur la position du "défunt", ni la bonne volonté de ces proches au moment de consentir au don des organes du "défunt". Si le "consentement présumé" n'est pas appliqué aujourd'hui, c'est qu'il y a eu des dérives. C'est aussi que cette loi est inhumaine : qui va aller s'inscrire sur le Registre National des Refus et déclarer qu'il "s'oppose au progrès scientifique et thérapeutique" (formulation du Registre National des Refus) ?

Les proches ont-ils accès au Registre National des Refus, pour se renseigner, par eux-mêmes, sur une éventuelle inscription de la personne dont on leur réclame les organes ? Ou doivent-ils s'en remettre à la seule parole de l'équipe de coordination des transplantations, qui, par définition, est toujours sous pression pour promouvoir l'activité des greffes ?

N'y a-t-il pas un risque que le système proposé par le Professeur Kreis connaisse, tout comme celui du "consentement présumé", des dérives ?

D'après le Professeur Kreis, le problème fondamental est celui de la définition juridique de la propriété des organes. En effet, cette question n'a pas encore été tranchée, et pour cause : si le corps n'appartient à personne, il ne peut pas être soumis à la loi du marché ! On ferme ainsi la porte, autant que faire se peut, au commerce des organes, qui est illégal, et on évite que le chevet du mourant se transforme en salle des enchères (libéralisation du marché des organes)...

Je cite un extrait de la présentation de 2007 du Professeur Kreis, intitulée "Whose organs are they, anyway?" (congrès à Rotterdam : "Organ Transplantation: Ethical, Legal and Psychological Aspects") :
[Traduction par l'auteur de ce weblog :]
"Faire don à une œuvre caritative présuppose qu’il puisse y avoir don, encore faut-il, pour cela, être en possession de ce que l’on veut donner. En ce qui concerne les parties du corps humain (PCH), il est clair qu’il serait important de définir leur propriétaire. Dans de nombreux pays, afin d’éviter la réification, et donc le marchandage du corps humain, le propriétaire du corps n’a pas été défini. En dépit de cette précaution, il est généralement accepté que la personne puisse accepter ou refuser le don de ses organes. S’il est aisé de comprendre ce raisonnement lorsqu’il s’applique à une personne en vie, il n’en demeure pas moins que lors du décès d’une personne, la situation est loin d’être évidente.

Du vivant de la personne, tout semblerait indiquer qu’elle possède son corps. Néanmoins, cette assertion est probablement erronée ; en fait, personne ne peut librement disposer de son corps. La personne ne peut pas se suicider, mutiler son corps, sauf raison de santé. Le corps humain ne peut pas être vendu (tout ou partie), et même si quelqu’un décide de donner un organe à une autre personne qui en a besoin, l’accord concernant ce don sera donné par la société.

Comment peut-on considérer que la personne vivante est la propriétaire de son corps, alors qu’elle n’est pas autorisée à en disposer librement ? En fait, l’être humain a seulement l’usufruit de son corps. Par 'usufruit', entendons le droit d’usage, qui est le droit d’utiliser un bien et d’en recueillir les fruits, à l’exclusion de la destruction ou perte de ce bien appartenant à un autre. Par voie de conséquence, si nous acceptons le fait que la personne n’a que l’usufruit de son corps, il faut bien considérer que le corps en question appartient à quelqu’un d’autre.

Etant donné que la société a droit de regard sur ce que la personne est autorisée à faire avec son corps (tout ou partie), le propriétaire du corps de la personne vivante, ce pourrait bien être, en fin de compte, la société. Néanmoins, en reconnaissant que la personne a l’usufruit de son corps, les sociétés qui se réclament d’une démocratie accordent à la personne, de son vivant, le droit de décision pour l’acceptation ou le refus du don d’organes et de tissus (à l’exclusion de leur vente !), en accord avec la législation du pays, cette législation ayant été élaborée par la société elle-même.

Lorsque survient le décès, le problème de la propriété du corps devient épineux, car il faut alors définir la mort et la relation entre la personne (la chose pensante) et son corps. Or quelle que soit la difficulté, il nous faut la résoudre, sans ambiguïté(s), faute de quoi nous ne pourrons obtenir les organes et tissus permettant de répondre à la demande de l’ensemble des patients en attente de greffe.

Dans certains pays, c’est la famille qui est considérée comme propriétaire du corps du proche décédé. Mais même dans ce cas de figure, le propriétaire ne peut pas être l’ensemble de la famille, et l’un de ses membres devrait être désigné comme seul propriétaire afin d’éviter, au sein de la famille, d’éventuels conflits lors de la décision : que faire du corps ?

Néanmoins, dans de nombreux pays, la question de la propriété du corps a été laissée en suspens, afin d’éviter sa réification. Partant, ce corps n’appartient à personne. Mais si le corps n’est pas devenu, du fait du décès de la personne, une chose, qui peut décider d’en faire usage ? Ni la personne qui n’est plus là, ni sa famille, étant donné que le corps n’est pas une chose dont on hérite. En fait, aucune entité individuelle ne peut se comporter en propriétaire d’un corps sans vie et, par voie de conséquence, aucune entité individuelle n’est à même d’utiliser (vente ou don) des PCH.

Au sein de certain pays, la société a eu une approche plus utilitariste du problème : il a ainsi été décidé que si la position de la personne n’est pas connue à sa mort, on présumera que, de son vivant, elle consentait au prélèvement de ses organes à son décès. D’autres pays ont laissé à une famille dont la définition laisse à désirer le droit de décision quant à l’avenir sur terre du corps de leur proche. Face à toutes ces situations contradictoires, les individus ont indéniablement du mal à comprendre où commencent et où finissent leurs droits. Il est probable qu’une approche aussi confuse n’a pu que contribuer à la pénurie de greffons à laquelle nous sommes actuellement confrontés.

Comment s’affranchir des ambiguïtés et obtenir un maximum d’organes ? Comment manœuvrer afin d’éviter qu’une thérapie aussi importante pour la société que la transplantation d’organes soit fondée sur la bonne volonté, tout en respectant l’autonomie de la personne vivante concernant le destin de son corps (y compris à son décès) ?"

Le Professeur Kreis tente d'obtenir une définition juridique de la propriété du corps humain, afin de pouvoir mettre en place un système juridique de consentement présumé qui ne soit pas détourné, et qui soit opérationnel. On peut néanmoins se demander si ce qu'on peut appeler une deuxième tentative de mise en place d'un système juridique de "consentement présumé" ne va pas connaître un sort identique à la première, c'est-à-dire être détourné. Ce qui a reposé sur un miracle de solidarité (les premières transplantations), ce qui a été du registre de l'exceptionnel, a-t-il réellement vocation à être industrialisé ? A devenir la norme ? La définition juridique de la propriété du corps humain ("appropriation 'conditionnelle' du corps par la société") permettra-t-elle de résoudre les problèmes posés par le fait que la seule médecine échoue à définir le début et la fin de la vie ? N'est-ce pas là le vrai problème ? Le constat de décès sur le plan de l'éthique, dans le cadre du don d'organes, qui a l'heure actuelle ne fait que l'objet d'un consensus mou, peut-il être tranché une fois pour toute dans le sens d'un prélèvement d'organes à large échelle ? Faut-il organiser un recyclage des pièces du corps humain (à l'infini) ? Est-ce souhaitable ? Est-ce possible ? Ne faut-il pas dire "la mort point d'interrogation" plutôt que "le don point d'interrogation", puisque la définition scientifique de la mort n'est pas univoque, et que d'un pays à l'autre, on observe des disparités dans la définition des critères de la mort ?

Je redonne la parole au Professeur Kreis :
"Il existe une et une seule approche, qui peut être considérée comme une appropriation 'conditionnelle' du corps par la société. Dans le contexte d’une médecine qui permet le remplacement des organes usés et/ou défectueux, les organes humains doivent être reconnus comme une ressource rare, à la disposition de la société qui doit gérer cette ressource peu abondante avec le plus grand soin, en évitant tout gâchis. Si aucun propriétaire n’est défini par la loi, alors la société doit se prononcer en faveur de l’une de ces deux options :


- L’absence de propriétaire(s) inscrit(s) dans la loi montre bien que les organes ne sont pas des choses, et que de ce fait ils ne peuvent être utilisés. Ce point de vue sonnerait le glas de la médecine des transplantations d’organes.
- Il appartient à la société, du fait de l’importance reconnue de la médecine des transplantations d’organes au sein du système de santé, de faire usage des organes, reconnus d’utilité publique : elle en a le droit, et même le devoir.

2ème option : la société s’approprie les PCH dans le contexte d’un véritable 'contrat social', pour le bénéfice de tous ceux qui ont besoin d’(un) organe(s). (...) Ainsi, au décès de la personne, en l’absence d’un refus explicite, la société décidera de l’usage des organes. Il s’agit, là aussi, d’une appropriation du corps par la société, qui est néanmoins conditionnée par l’acceptation ou le refus de la personne. A première vue, ce concept ressemble à celui du consentement présumé. A y regarder de plus près, il existe une différence fondamentale. Le prélèvement d’organes, et par conséquent, la greffe, ne dépendront plus du don et de la bonne volonté. La nécessité du don des organes avant leur utilisation sera rendue caduque, le consentement des proches ne sera plus requis. Oubliée aussi la présomption de la volonté d’autrui, hypocrite et plutôt contraire à l’éthique. Inutile, enfin, de venir bouleverser les proches en leur posant 'la pire des questions au pire moment'.

Pourquoi serait-il difficile, pour les membres de notre société, d’accepter ce concept d’appropriation conditionnelle du corps par la société, alors que les autopsies médico-légales ne font l’objet d’aucune plainte ? Les médecins légistes sont libres de prélever les organes des cadavres, et ce sans aucune restriction. Cela est vrai même si la personne décédée aurait pu, ou si ses proches pourraient s’opposer à l’autopsie, pour des raisons personnelles, religieuses, culturelles ou philosophiques. Des organes, y compris le cerveau, peuvent être réquisitionnés dans le cadre d’une enquête médico-légale, le temps d’éclaircir les causes du décès (éventuelle origine criminelle). Ces pratiques sont généralement justifiées en arguant du fait que la société bénéficie à un tel point de l’autopsie médico-légale que ce bénéfice doit primer sur le principe d’autonomie, pour aussi fortes que soient nos aspirations à faire respecter ce dernier. Ceci démontre clairement que dans certaines circonstances, il est possible de faire accepter la primauté de l’intérêt du collectif sur celui du défunt. Résoudre une enquête criminelle est sans aucun doute d’une importance cruciale. L enjeu consistant à sauver la vie de nombreux patients serait-il moindre ?"

Faisons néanmoins remarquer que dans le cas d'une autopsie, le défunt est un cadavre refroidi. Dans le cas d'un patient donneur d'organes, le corps contient des organes encore viables. Faut-il parler de "mort" ou de "mourant" ? Une chose est certaine : les prélèvements d'organes se font sur des personnes dont l'état est irréversible. Elles ne reviendront pas à la vie. Mais si ces personnes ne sont plus tout à fait du côté de la vie, elles ne sont pas pour autant tout à fait du côté de la mort, puisque leurs organes sont encore viables. Elles seront tout à fait du côté de la mort au moment du prélèvement de leurs organes. Pour désigner les patients donneurs d'organes, au lieu de parler de "cadavres", ne conviendrait-il pas de parler de patients irréversiblement engagés dans un processus de mort, se situant entre la vie et la mort, patients pour lesquels le corps médical ne peut plus rien, si ce n'est prélever des organes encore sains qui peuvent servir d'organes de rechange ?

Je redonne la parole au Professeur Kreis : "En conclusion, il incombe à chaque société, au sein de chaque pays, de définir le concept de la propriété des organes. Par ailleurs, la personne n’acquiert pas, du simple fait de sa naissance, un droit de propriété sur son corps, que l’on pourrait appeler droit inné. On peut d’emblée justifier cette affirmation en rappelant que l’individu n’a que l’usufruit de son corps, et non la propriété de tout ou partie de son corps.

Par conséquent, la question de la propriété des organes est conditionnée par le fait qu’il s’agit d’un individu vivant ou mort, croyant ou athée, vivant dans tel ou tel pays, acceptant la 'mort encéphalique' ou 'l’arrêt cardio-respiratoire persistant' comme critères permettant de définir la mort, ou étant d’avis que ces deux états sont distincts de l’état de mort. Rappelons que dans de nombreux pays, la société n’a pas souhaité désigner de propriétaire(s) du corps décédé afin d’éviter que ce corps soit soumis à la loi du marché.

(...) En s’appropriant le corps, tout en respectant l’autonomie de la personne, la société peut contribuer à apporter une réponse à tous les enjeux majeurs d’aujourd’hui : le prélèvement d’organes, leur attribution, leur commerce, le consentement, le rôle de la famille. En se fondant sur ce concept, la société pourrait décréter qu’au décès de la personne, les PCH lui appartiennent, sans avoir à demander une quelconque permission, et sans avoir à présumer de la volonté d’un défunt. Néanmoins, le principe d’autonomie étant reconnu, au cas où la société d’un pays, désireuse de promouvoir les prélèvements d’organes, s’approprierait les corps, il faudrait que l’opposition de l’individu au prélèvement de ses organes soit respectée ; celle de sa famille étant, en revanche, irrecevable. L’appropriation sociétale du corps sera conditionnée par ce refus individuel (...).

Il n’est pas évident que l’appropriation par la société des parties du corps humain cadavérique puisse être justifiée simplement par le bénéfice d’autres individus dont la mort sera ainsi prévenue. L’appropriation par la société doit être considérée avec prudence. Elle ne devra pas oublier que la pratique socioculturelle de disposition du corps est très importante pour la communauté humaine, indépendamment des communautés religieuses.

Si ce concept de l’appropriation conditionnelle par la société devait être essayé, un certain nombre de conditions essentielles devrait être satisfait au préalable.
1) On devrait d’abord débattre de l’importance de la transplantation pour la société. Ce n’est que si la société affirmait son besoin de la transplantation que l’appropriation par la société devrait être considérée comme une orientation politique à étudier.
2) Ce concept ne devrait pas être proposé par les médecins mais par les membres du Parlement.
3) L’éducation du public paraît alors inévitable si l’on veut pouvoir initier une telle mutation fondamentale de l’opinion publique.

Aujourd’hui, au vu de l’attitude générale du public, il y a peu de raisons de penser que cette méthode d’acquisition des organes puisse être politiquement envisageable."

Une fois cette méthode acceptée, encore faudrait-il que la société bénéficie d’une information affranchie de la promotion du don d'organes, et reconnaisse les bénéfices du concept de l’appropriation conditionnelle. Actuellement, les équipes coordinatrices des transplantations d'organes sont aussi confrontées à des refus de la part des proches confrontés au "don" (35 à 40% de refus).

Encore faudrait-il avoir la certitude que la définition juridique du proprétaire du corps n'entraîne pas, de facto, la légalisation/libéralisation du commerce d'organes... En effet, une définition juridique de la propriété du corps entraînerait inévitablement un pas de plus dans la direction de la libéralisation du marché des organes. Où situer les prélèvements d'organes, où placer le curseur, entre miracle de la solidarité et commerce de pièces détachées ? Rappelons que la définition traditionnelle de la mort est la destruction irréversible du coeur, des poumons et du cerveau. Or dans le cas de "la mort encéphalique", le coeur continue à battre. Dans le cas de l'"arrêt cardio-respiratoire persistant" permettant les prélèvements "à coeur arrêté", qui ont repris en France depuis 2006, le coeur est détruit, tandis que la destruction du cerveau ne peut pas être vérifiée avant le prélèvement d'organes.

Voici la conclusion du Professeur Kreis lors de sa présentation de 2007 :
"(...) le chemin de la bonne volonté semble être un cul-de-sac, et la transplantation ne survivra pas si nous répétons les mêmes erreurs, encore et encore. Le temps que cela prendra ne doit pas nous décourager dans cette entreprise : posons à notre société les bonnes questions et espérons que nous recevrons les bonnes réponses."

1 commentaire:

Ethics, Health and Death 2.0 a dit…

Le 1er mars 2008, j'ai envoyé au Professeur Kreis le courriel suivant :

Bonjour Professeur Kreis,
En tant qu’usager de la santé, j’ai initié en 2005 un weblog d’information sur l’éthique et les transplantations d’organes.

Dans votre présentation de 2004, intitulée "Faut-il repenser le système d'obtention des organes ?", vous défendez le "concept de l'appropriation conditionnelle par la société."

En septembre 2007, le Centre d’Ethique Clinique de Cochin (Dr. Nicolas Foureur) a reconnu que je soulevais une "intéressante question d’éthique", en remarquant que l’Agence de la biomédecine, qui orchestre l’information grand public sur le "don" d’organes, a en même temps une mission de promotion du don d’organes, cette mission étant inscrite dans ses statuts. Or promouvoir n’est pas informer. A l’heure actuelle, aucune information affranchie de la promotion du don d’organes n’est fournie aux usagers de la santé. Une telle information ne pourrait pas se permettre de faire l’impasse sur la relativité du constat de décès (disparité des pratiques d’un pays à l’autre, comme l’explique le docteur Guy Freys, Département de Réanimation chirurgicale des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, dans sa présentation de mars 2007 : "On ne meurt qu’une fois, mais quand ?"), et aborderait des questions comme : "si je consens au prélèvement de mes organes à mon décès, vais-je souffrir ?". En 2005, j’ai posé cette question à des acteurs des transplantations. Les réponses que j’ai obtenues ont été si surprenantes que j’ai décidé d’initier un weblog d’information sur le "don" d’organes, ayant pour point de départ la question du constat de décès sur le plan de l’éthique.

Vous l’avez souligné, "le chemin de la bonne volonté semble être un cul-de-sac". Sans information affranchie de la promotion, que signifie le consentement éclairé inscrit dans la loi ? Dans un contexte d’industrialisation du don d’organes, comment ne pas porter préjudice aux familles confrontées au don d’organes : va-t-on fabriquer des deuils "pathologiques" à la chaîne ?

Enfin, comment débattre de l’importance de la transplantation pour la société ? Sans information affranchie de la promotion, comment atteindre l’objectif que vous avez défini : "posons à notre société les bonnes questions et espérons que nous recevrons les bonnes réponses" ? Il me semble que les usagers de la santé ne devraient pas être exclus de tous ces questionnements d’éthique, pourtant actuellement confinés au sein du corps médical.

Dans un contexte d’industrialisation du don d’organes, tous les chemins mènent au Don. Or ce "dogme avec lequel on jongle pour justifier les transplantations d’organes" (Professeur Bernard Debré) pourrait bien être un "cul-de-sac". A y regarder de plus près, ce "cul-de-sac" est à haut risque pour les usagers de la santé (de plus en plus nombreux) confrontés au "don" d’organes, qui doivent témoigner de la volonté d’un défunt pas encore refroidi. En de tels instants, toute la pression, véhiculée par tout un chacun, prônant la générosité / solidarité afin de permettre de "sauver" des patients en attente de greffe, repose sur quelques proches confrontés à un dilemme inhumain : soit ils choisissent d’accompagner au mieux leur mourant, soit ils choisissent d’aider des patients en attente de greffe, quitte à risquer d’abandonner leur mourant au pire moment de sa "vie". Qu’atteint la personne confrontée au choix (pour elle-même ou pour un proche) : le comble de l’héroïsme ou le comble du désarroi ? Elevée dans la laïcité, ma famille m’a pourtant transmis le devoir de l’accompagnement d’un proche mourant – devoir primant sur toute autre considération – et le devoir de générosité / solidarité.

Est-il possible de réfléchir sans pression idéologique, et d’oser faire remarquer que les deux choix sont incompatibles, sans risquer de se faire censurer, à plus forte raison si on est acteur du monde médical ? Mme Claire Boileau, auteur du livre : "Dans le dédale du don d’organes. Le chemin de l’ethnologue" (Editions des archives contemporaines, 2002), ne répond plus à aucune sollicitation. Son intérêt pour la question se sera sans doute tari.

Le consentement éclairé, un "mariage infernal entre Kant et Sade" (Alain Caillé, Professeur d'économie et de sociologie à l'université de Paris 10) ?

Vous dites que le "concept de l'appropriation conditionnelle par la société" risque de ne pas faire l’unanimité politique. Est-il néanmoins permis de dénoncer la nocivité du système actuel, reposant sur l’idéologie du Don ? La pression subie par le corps médical pour augmenter le nombre de greffes (et donc de prélèvements) est énorme, et ne peut que se répercuter sur l’usager de la santé.

Celui-ci est-il informé du fait qu’une situation d’arrêt cardiaque peut conduire, suite à un échec de la réanimation, à des gestes techniques invasifs sur sa personne, en vue d’un prélèvement d’organes ? Là encore, les disparités dans les pratiques d’un pays à l’autre ne sont guère rassurantes pour l’usager de la santé : catégorie III de Maastricht (prélèvement d'organes suite à une décision d'arrêt des soins) retenue au Japon, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, aux USA, où cette catégorie représente la possibilité de prélèvement la plus importante ; catégorie III exclue pour des raisons d’éthique en France, où seule a été retenue la situation de prélèvement d'organes suite à un echec des tentatives de réanimation, afin que ne soient pas confondues décision d'arrêt des soins et intention de prélèvement d'organes.

Dans un contexte d’industrialisation du don d’organes, il devient urgent de déverrouiller d’information grand public sur le "don" d’organes. Or cette urgence est loin d’être à l’ordre du jour. D’où mon initiative de médiation éthique entre les politiques (le Sénat notamment), les acteurs des transplantations et les usagers de la santé, depuis 2005.

Veuillez agréer, Professeur Kreis, l’expression de mes salutations courtoises.
Catherine Coste