Scientific MOOCs follower. Author of Airpocalypse, a techno-medical thriller (Out Summer 2017)


Welcome to the digital era of biology (and to this modest blog I started in early 2005).

To cure many diseases, like cancer or cystic fibrosis, we will need to target genes (mutations, for ex.), not organs! I am convinced that the future of replacement medicine (organ transplant) is genomics (the science of the human genome). In 10 years we will be replacing (modifying) genes; not organs!


Anticipating the $100 genome era and the P4™ medicine revolution. P4 Medicine (Predictive, Personalized, Preventive, & Participatory): Catalyzing a Revolution from Reactive to Proactive Medicine.


I am an early adopter of scientific MOOCs. I've earned myself four MIT digital diplomas: 7.00x, 7.28x1, 7.28.x2 and 7QBWx. Instructor of 7.00x: Eric Lander PhD.

Upcoming books: Airpocalypse, a medical thriller (action taking place in Beijing) 2017; Jesus CRISPR Superstar, a sci-fi -- French title: La Passion du CRISPR (2018).

I love Genomics. Would you rather donate your data, or... your vital organs? Imagine all the people sharing their data...

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La mort civile et la mort encéphalique : une fiction juridique ?

Il s’agit d’opérer un rapprochement entre ces deux formes de mort, dans la mesure où toutes deux ne correspondent pas aux critères traditionnels de définition de la mort, qui sont triples : pendant près de deux mille ans, pour qu’il y ait mort, il fallait l’arrêt du cœur, des poumons et du cerveau. La mort était définie comme l’arrêt des fonctions cardio-pulmonaires et cérébrales. Dans le cas de la mort encéphalique, il y a destruction du cerveau, mais le cœur et les poumons continuent de fonctionner. Cette nouvelle forme de mort a été légalisée alors que s’effectuaient les premières tentatives de transplantation d’organes. La mort encéphalique et la mort cérébrale font toutes deux référence au concept du cerveau comme chef d’orchestre des autres organes : à partir du moment où il cesse de fonctionner, la mort des organes est programmée. C’est ainsi qu’en 1996 est survenu un bouleversement de la définition traditionnelle de la mort, définition vieille de quelque 2000 ans, selon laquelle la mort correspond à l’arrêt définitif du cœur, des poumons et à la destruction du cerveau. Depuis 1996, la mort correspond à la destruction irréversible du cerveau. Peu importe que le cœur et les poumons continuent de fonctionner, c’est à dire que le corps du patient en état de mort encéphalique soit encore vascularisé, que son cœur batte toujours. La mort encéphalique équivaut à la mort de l’individu. Une personne en état de mort encéphalique est légalement morte. Toutes les lois de bioéthique depuis 1996 réaffirment ce principe. Or une personne en état de mort encéphalique a le teint rose et paraît simplement dormir, du fait qu’elle respire par respirateur artificiel et que son cœur bat.

Comment résoudre cette contradiction entre le domaine juridique et celui de la réalité, constatable de visu, en ce qui concerne la mort encéphalique ? La mort civile (issue du droit romain et du Code Napoléonien, abolie définitivement en France par la loi du 31 mai 1854), a pour la première fois introduit l’idée que la personnalité juridique peut être indépendante de la personne humaine. En d’autres termes, une personne déclarée en état de mort civile existait bel et bien, puisqu’elle était en vie. Bien que biologiquement vivante, elle était morte pour l’Etat civil.

Le diagnostic de mort encéphalique déclare légalement mort un patient ayant irréversiblement perdu l’ensemble de ses fonctions cérébrales, mais dont le cœur bat toujours. Dans les deux cas, mort civile et mort encéphalique, nous avons affaire à ce qui ressemble fort à une fiction juridique. Il s'agit d'un concept juridique. En effet, une fiction juridique est "un mensonge technique consacré par la nécessité" (définition de Rudolf von Jhering). Cette manipulation de la réalité peut s'exercer sur un fait, une situation ou une norme. Elle consiste soit à nier soit à prétendre, sciemment, à une prétendue vérité, afin d'apporter le débat non pas sur le terrain de la preuve, mais du fond. Les sources matérielles du droit, législatives ou jurisprudentielles, font appel à la fiction pour exercer une emprise sur la réalité. On peut opérer un rapprochement entre la mort encéphalique et la fiction juridique en pensant à ce dialogue entre un proche de patient en état de mort encéphalique et une infirmière coordinatrice de l’équipe médicale de transplantation : "Mais enfin, madame, êtes-vous certaine qu’il est mort ? Je le vois respirer et sa peau est rose. Il me semble qu’il est mourant, mais pas encore mort". Et la réponse de la coordinatrice : "-Ah non, il est bel et bien mort, il n’y a aucun doute là-dessus. Et c’est aussi ce que confirme la loi." [NB : elle fait référence à la loi de bioéthique d’août 2004]. Le proche de ce patient le voit encore en vie, tandis que la coordinatrice de l’équipe des transplantations le voit mort, et cette mort est confirmée par la loi. Cette mort encéphalique, cet état d’"inquiétante étrangeté" seraient-ils un mensonge technique consacré par la nécessité, celle des greffes d’organes ? En effet, de plus en plus de patients sont en attente d’une greffe, et la situation de pénurie de greffons perdure.

Mentionnons ici quelques exemples de "fiction juridique" courants :

• La personnalité juridique.
• L'enfant à naître est supposé né chaque fois qu'il en va de son intérêt, en matière d'héritage notamment.
• L'adoption, qui fait de l'enfant adopté celui des parents adoptifs.
• L'adage "Nul n'est censé ignorer la Loi" est un autre exemple de fiction juridique employé en droit.
• L'absence :
Une personne absente, dont on ne sait si elle est vivante ou décédée, peut survivre juridiquement : elle sera considérée juridiquement comme vivante pendant un temps (10 ans), puis décédée pendant un autre temps (au bout de 10 ans). Or il n’y a aucune chance pour que cela corresponde à la réalité des faits. Cette personne absente (si elle réapparaît) peut même faire l’objet d’une "résurrection". On est donc bien dans une fiction, nécessaire du point de vue de la loi.

Dans chacun de ces cas, il est fait appel à une fiction pour exercer une emprise sur la réalité.

Nous tenterons d’analyser dans quelle mesure la mort encéphalique pourrait correspondre à une fiction juridique, au sens où il serait fait appel à une fiction (la mort encéphalique est appelée par les spécialistes la "mort invisible") pour exercer une emprise sur la réalité (celle de la nécessité d’opérer des patients en attente de greffe). Sera ensuite analysée la question de la mort civile en tant que fiction juridique. Enfin, nous verrons dans quelle mesure il est possible d’opérer un rapprochement entre la mort civile et la mort encéphalique, en tant que fiction juridique.

Lire l'ensemble de l'article : la mort civile et la mort encéphalique : une fiction juridique ? (document PDF, 13 pages, 288 Ko)
==> cliquer ici.

11 commentaires:

Anonyme a dit…

je suis très franchement stupefaite par ce que je viens d'apprendre concernant la nouvelle définition de la mort (mort encephalique=mort totale) Auparavant je trouvais tout à fait normal de donner ses organes après sa mort, mais j'entendais par mort l'ancienne définition. Pour moi, une personne morte ne respire plus et son corps est froid. Je pense que c'est ce que croit la plupart des individus. Il me semble qu'avant de faire la publicité pour le don d'organe après déces, il faut bien expliquer ce que la médecine entend de nos jours par déces, evidemment cela pourait rendre réticente les bonnes volontés. Mais il ne faut duper personne. Si l'ancienne définition de la mort (arrêt des 3 fonctions respiratoire, cardiaque et cérébrale), la seule qui me semble sérieuse ne permet pas le don d'organes, il ne faut plus parler de dons " APRES déces" mais de don de personnes vivantes, dans un état très critique certes, mais cela permettrait au moins de pouvoir anesthésier complétement le donneur ce qui n'est pas fait actuellement. Les problèmes d'éthique que cela pourait soulever resteraient les mêmes mais les choses seraient plus claires et au cas ou la sensibilité à la douleur pourait subsister ne serait-ce que épisodiquement le donneur serait au moins protéger. Personnellement, je ne fais pas confiance à ceux qui affirment que l'on y est insensible.
J'ai lu les temoignages qui figurent sur ce site et je vous remercie de faire en sorte qu'il puissent être exprimés, même s'ils sont très choquant pour les non avertis. Si le corps médical, lui même est divisé sur certaines pratiques, sans pouvoir l'exprimer sans craintes, la meilleure chose me semble-t-il serait de faire en sorte que chaqu'un puisse exprimer son désaccord ouvertement, sans censure ni pressions.

Ethics, Health and Death 2.0 a dit…

Bonjour Mireille,
Merci pour votre message, qui constitue un précieux témoignage d'usager de la santé ! Effectivement, les différents critères de prélèvement des organes (prélèvement sur patient en état de mort encéphalique ou prélèvement sur patient à coeur arrêté selon les critères de la Classification de Maastricht), la diversité des définitions (mort encéphalique en France, mort cérébrale en Grande-Bretagne) et pratiques (projet pilote au Canada, qui permettra de prélever les reins de patients qui ne sont pas en état de mort cérébrale mais qui n'ont pas de chance de survie ; la France se refuse à suivre cette voie) sont autant de facteurs complexes, donnant à l'usager de la santé l'impression de cheminer dans un labyrinthe intellectuel lorsqu'il affronte la question du "don" d'organes...

Plus spécifiquement, on peut se demander si l'orientation française (qui souhaite maintenir "la règle du donneur mort" et la mort encéphalique comme critères de prélèvement des organes) est plus souhaitable que celle des pays anglo-saxons et du Canada (débats autour de la transgression de la règle du donneur mort - débats largement tabous en France) ? On peut dire qu'on se situe dans un contexte de médecine de la transgression, même sans transgresser "la règle du donneur mort", puisque la Boîte de Pandore a déjà été ouverte avec les prélèvements sur patients en état de mort encéphalique : pour certains médecins, la mort encéphalique n'est pas LA mort (le coeur d'un donneur en état de mort encéphalique continue à battre)...

Ce message ne peut apporter de nouvelles réponses, il vise néanmoins à faire le point sur des questions majeures d'éthique de la transplantation - force est de reconnaître que ces problématiques sont peu connues du grand public, et pour cause : le corps médical est largement réticent à les soumettre à l'usager de la santé Français...

Anonyme a dit…

Bonjour Catherine,
Je vous remercie d'avoir répondu à mon message. J'ai la chance de ne pas avoir eu à affronter le problème du don d'organe dans des conditions dramatiques, comme c'est le cas de beaucoup de temoignages. Je me suis simplement penchée sur ce sujet car ma fille qui s'est inscrite en première année de médecine m'avait demandé de l'aider à faire des recherches pour son cours de bioéthique, de fil en aiguille je suis tombée sur votre site, le seul que j'ai trouvé qui informe sans faire forcément de publicité pour le don. Cela m'a permis de réfléchir sereinement sur le sujet et de faire part de mes intentions à mon entourage en ayant au moins un minimun d'information. Vous dites qu'en France on n'est pas prët à porter certains débats sur la place publique mais alors la notion de consentement présumée sur un sujet que l'on ignore n'a vraiment pas de sens. Personnellement je pense que s'engoufrer dans la voie du don d'organes vivants prélevés sur des personnes qui le sont forcement aussi n'est pas une bonne voie et handicape la recherche vers d'autres solutions (organes articiciels ou autre) moralement plus acceptables. Je trouve inhumain (même si la technique peut le faire) de placer des individus devant le choix de devoir troquer une vie contre une autre (quelle que soit la définition donnée de la Mort) d'autant plus que l'on vit dans un monde de plus en plus individualiste.

Ethics, Health and Death 2.0 a dit…

Bonjour Mireille,
Je ne résiste pas à l’envie de commenter et d’étayer votre courriel d'hier, tant il me semble être un condensé des différentes questions soulevées par ce Blog. Par avance, je vous demande de pardonner la longueur de ce message (trop long pour un simple commentaire !!)
En France la communication grand public sur la question des transplantations d’organes (= greffe et prélèvement d’organes) est orchestrée par l’Agence de la biomédecine (qui a les budgets pour réaliser cette communication). Le Professeur Louis PUYBASSET, responsable de l'unité de neuroréanimation chirurgicale à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, a fait remarquer que cette communication est faite par le «camp» des greffeurs d’organes (ceux qui opèrent les patients en attente de greffe) et non par celui des préleveurs d’organes, à savoir les chirurgiens, infirmières coordinatrices, radiologues et réanimateurs impliqués dans le processus difficile et ingrat allant de la confirmation du diagnostic de mort encéphalique au prélèvement des organes sur un patient en état de mort encéphalique, une fois obtenu le consentement des proches. Or, malgré les moyens déployés, 50 pour cent des familles confrontées au don d’organes opposent un refus à la demande de prélèvement des organes de leur proche. Ce chiffre montre qu’il reste très difficile d’obtenir le consentement des familles. (Chiffre de l’hôpital de la Pitié Salpêtrière, Groupe hospitalier de l’AP-HP, Paris, centre hospitalier ayant une importance majeure dans l’activité des transplantations en France). Il est infiniment plus facile de convaincre qu’une greffe peut aider («sauver») un patient, que de convaincre des proches sous le choc de la perte d'un être cher d'accepter le prélèvement des organes de celui-ci. D’où la dialectique que j’ai mise à nu dans ce blog : je pose au corps médical français la question du constat de décès (mort encéphalique) sur le plan de l’éthique ; il me répond en me parlant de la beauté du don. Pourquoi ? Parce que la réponse vient des médecins et chirurgiens qui greffent les organes, non de ceux qui les prélèvent et à qui incombe aussi la (tout aussi douloureuse !) tâche d'obtenir le consentement des familles. Je rappelle que les potentiels donneurs en état de mort encéphalique représentent 1 pour cent de la population, tandis que la liste des patients en attente de greffe s’allonge chaque jour un peu plus. La pression exercée sur les hôpitaux et cliniques est donc énorme : il faut réaliser le plus possible de transplantations d’organes, et l’Agence de la biomédecine a été crée et dotée d’importants crédits dans le but d'aider ces hôpitaux et cliniques à réaliser ces transplantations. Ce (long) détour pour expliquer votre constatation : «je suis tombée sur votre site, le seul que j'ai trouvé qui informe sans faire forcément de publicité pour le don». Effectivement, ce Blog est rédigé à titre bénévole, il n’a pas vocation à défendre un point de vue plutôt qu’un autre ; son but est de montrer la complexité des enjeux de la transplantation (qui dit médecine de la transgression dit enjeux psychologiques, religieux, sociaux-culturels, etc.), en élargissant le champ d’investigation sur la question de la mort encéphalique et non en le réduisant à la simple constatation de la beauté du don, ce plus petit dénominateur commun consensuel dont la communication grand public en France est si friande. Il faut insister sur le fait que toute communication émanant du corps médical, donc toute communication «officielle», a le devoir de promouvoir le don d’organes. J’ai conçu ce Blog dans la perspective du citoyen usager de la santé, vous l’avez bien compris, en partant de la constatation qu’une réflexion citoyenne sur le don d’organes (une réflexion laïque et/ou religieuse, selon le choix de chacun) ne peut avoir lieu sans la connaissance du principe à la base du prélèvement d’organes – principe que le corps médical français rechigne en général à expliquer à l’usager de la santé : les organes d’un mort n’intéressent personne, puisque comme lui, ses organes sont morts et ne peuvent «sauver» personne. En revanche, les organes prélevés sur un patient en train de mourir sont susceptibles d’aider des patients en attente de greffe. Dans ce cas, il y a intervention dans le processus de mort de ce patient puisqu’une équipe chirurgicale de prélèvement intervient en amont de la mort de ce patient pour prélever ses organes et les maintenir vivants. Comme vous le soulignez, la connaissance de ce principe de base «permet de réfléchir sereinement sur le sujet et de faire part de ses intentions à son entourage en ayant au moins un minimun d'information». Il n’y a pas à réfléchir sur la beauté du don, tout le monde est d’accord là-dessus. En revanche, il y a toute une gamme de problèmes éthiques, politiques, sociaux-culturels et religieux sur lesquels le grand public est loin d’être systématiquement invité à réfléchir :
• le conflit d’intérêt patient prélevé - patient greffé : certains psychologues parlent de l’aspect sacrificiel du don d’organes, et soulignent le fait que le mot "don" n’est pas un mot approprié ; l’état d’«inquiétante étrangeté» dans lequel est plongé le patient greffé, qu’on n’a pu aider qu’«en se jetant sur un mourant pour le dépecer» (docteur Marc Andronikof)
• la question de l’anonymat du don (en Belgique, il est question de modifier cette loi sous certaines conditions)
• la question de la gratuité du don (il est question d’autoriser la vente d’organes, le débat est ouvert aux Etats-Unis)
• le débat autour de la «règle du donneur mort» (débat non autorisé en France) : Aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et au Japon, le concept de mort cérébrale et de mort encéphalique est contesté, certains scientifiques ne reconnaissant pas la viabilité scientifique de cette définition de la mort : pour eux, la mort encéphalique ou cérébrale n’est pas la mort ; on a affaire à un patient mourant et non à un patient mort. L’opinion publique est informée de ce débat ; au Canada il est même question (depuis fin 2006) d’expérimenter une nouvelle forme d’approche des familles confrontées au don d’organes : cette nouvelle approche consiste à dire à ces familles que leur proche n’est pas encore mort, mais qu’il n’a aucune chance de survie, or ses organes pourraient aider des patients en attente de greffe. Dans ce type d'approche, il n'est pas question de parler de mort encéphalique ou cérébrale. Je souligne que cette approche n’est pas autorisée en France, le Professeur Louis Puybasset s’y est opposé. Il maintient la «règle du donneur mort» et le critère de la mort encéphalique comme étant LA mort. Pour lui, ce qui se fait aux Etats-Unis et au Canada (en l’occurrence ce fameux débat sur la «règle du donneur mort») pose des problèmes éthiques. Vous voyez que le corps médical international est loin de fonctionner à l'unission sur le sujet...
• Remise en cause de la loi Cavaillet, que certains psychologues et sociologues qualifient de "mariage infernal entre Kant et Sade". C’est pourtant cette loi qui est en vigueur aujourd’hui, et qui impose le consentement présumé. Peu d’usagers de la santé le savent, pourtant c’est la loi : si vous ne vous êtes pas expressément opposé(e) au prélèvement de vos organes avant votre décès, vous êtes présumé(e) consentant(e).
Cette liste pourrait être documentée avec d’autres points évoqués par ce Blog, mais vous voyez déjà qu’en France "on n'est pas prêts à porter certains débats sur la place publique". Comme vous le faites remarquer, la notion de consentement présumé sur un sujet que l'on ignore n'a pas vraiment de sens. En tant qu’usager de la santé, c’est précisément ce constat qui m’a amenée à créer ce Blog : le grand public est instrumentalisé dans la grande campagne d’information publique sur les transplantations d’organes ; il n’est pas un sujet autonome (au sens du "consomm'acteur", le consommateur actif et averti, par opposition au consommateur passif et grégaire), ayant accès à tous les aspects du problème et pouvant réfléchir en toute connaissance de cause. Comme vous, j’ai été vivement impressionnée par les témoignages de familles confrontées au don d’organes et découvrant les réalités et les enjeux véritables de la question une fois mises au pied du mur. Le fait que ces familles soient venues exprimer leurs doutes, leurs (res)-sentiments, craintes et autre chagrin sur ce Blog montre à quel point il manque dans le monde médical «officiel» un espace pour leur permettre de le faire. Tout est fait pour dire à ces familles de ne pas penser au prélèvement des organes : «il ne faut pas imaginer l’opération», il faut simplement penser à la beauté du don (je cite les propos d’une infirmière coordinatrice ayant témoigné en décembre 2006 sur ce Blog).

Vous écrivez : «Personnellement, je pense que s'engouffrer dans la voie du don d'organes vivants prélevés sur des personnes qui le sont forcément aussi n'est pas une bonne voie et handicape la recherche vers d'autres solutions (organes artificiels ou autre) moralement plus acceptables». Les généticiens se sont penchés sur ce problème et proposent les manipulations génétiques à but thérapeutique. Votre constatation fait écho à la réflexion du Professeur Bernard Debré dans son livre «La Revanche du serpent ou la fin de l’homo sapiens». Le Professeur Debré place la problématique des transplantations d'organes en relation avec celle des manipulations génétiques à but thérapeutique. Dans l’attente de pouvoir maîtriser la production de cellules indifférenciées, qui se développeront pour former un rein, un cœur, un foie, selon les besoins ponctuels des patients à greffer, il faut bien inciter les gens à donner leurs organes. C’est pour l’instant la solution «la moins pire» dans cette médecine de la transgression qu’est la médecine occidentale (la transgression consiste, pour le Professeur Bernard Debré, dans «le franchissement de la barrière des espèces»). La «solution la moins pire», c’est bien entendu le point de vue de la médecine de la transplantation. Pour le Professeur Bernard Debré, toujours dans le même livre, le franchissement de la barrière des espèces a été réalisé aussi avec les transplantations d’organes. La suite logique, ce serait d'autoriser la poursuite des recherches : autoriser le clonage thérapeutique, afin de remplacer les transplantations d’organes (il pose la question de la viabilité du concept de mort encéphalique à demi-mots) par la production de ces cellules indifférenciées qui permettraient de fabriquer sur commande, pour ainsi dire, des organes visant à prendre le relais des organes défectueux des patients en attente de greffe. Inutile de préciser que ceci n’est pas pour aujourd’hui, ni pour demain. Mais le Professeur Debré insiste sur l'importance à accorder à ces recherches en génétique, du fait que les transplantations ne constituent pas la solution idéale (sur le plan médical et sur le plan éthique). Le site www.genethique.org, site internet dédié à la question de l’éthique en génétique, retrace les débats sur les problèmes éthiques soulevés par la manipulation génétique. Sa revue de presse assure une couverture assez exhaustive de ces questions telles qu’elles apparaissent dans l’actualité. Or dans cette actualité, à ma connaissance, il n'est pas question, du moins explicitement, de se demander si le prélèvement d'organes serait plus ou moins éthique que les manipulations génétiques à visée thérapeutique. Pourquoi ? Parce qu'en France, la position officielle est que la mort encéphalique est LA mort et qu'elle ne pose pas de problèmes d'éthique. Or nous avons vu que les choses sont loin d'être aussi simples ; c'est pourtant comme cela qu'elles sont présentées au grand public : simples, politiquement et éthiquement correctes.

A l’heure actuelle, les organes artificiels, comme le «cœur de Berlin» mentionné sur ce Blog, ne peuvent constituer qu’un relais dans l’attente d’un organe à greffer.

Vous écrivez : «Je trouve inhumain (même si la technique peut le faire) de placer des individus devant le choix de devoir troquer une vie contre une autre (quelle que soit la définition donnée de la Mort) d'autant plus que l'on vit dans un monde de plus en plus individualiste». Je cite les propos d’un chef de service de l’hôpital de la Pitié Salpêtrière, dont le métier consiste aussi, parfois, à essayer d’obtenir le consentement des familles pour prélever les organes d’un proche en état de mort encéphalique : « Quand je vais voir ces familles pour leur demander leur accord, j’ai conscience de les foutre dans la merde. Dans une sacré merde ». Sur un autre registre, Marc Grassin, Maître de conférence à l’Institut Catholique de Paris, analyse la violence contenue dans la question du don d’organes adressée aux proches d’un patient en état de mort encéphalique – voir son intervention du 17 juin 2006 lors de la journée d’études «Le Don et la transplantation d’organes», intitulée : «Le Don d’organes : paradoxe sacrificiel dans une culture de l’échange libéral» (Fondation Argentine, Cité Universitaire Internationale, 75014 Paris).

Je terminerai ce long développement par quelques contacts à recommander à votre fille, au cas où elle serait amenée à se pencher sur la question : éthique et transplantation d’organes :
• tout d’abord l’espace d’éthique de l’AP-HP :
http://www.espace-ethique.org/fr/accueil.php (directeur : M. Emmanuel Hirsch)

• L’hôpital de la Pitié Salpêtrière, Paris, possède un service de neuroréanimation chirurgicale pilote en Europe (service du Professeur Louis Puybasset), lequel service travaille en étroite collaboration avec M. Guy Benamozig, Psychanalyste, docteur en anthropologie sociale et médicale, qui assure, entre autres, le soutien et le suivi psychologique des familles confrontées au don d’organes. Au sein de ce même service, Mme Elsa Lannot, ATER, Psychopathologie clinique, spécialiste de la question du deuil et de l’identité, réalise actuellement une étude sur le suivi des familles confrontées au don d’organes, elle est l’auteur d’une thèse sur les enjeux psychologiques des transplantations d’organes (Université de Paris VII). Mme Lannot est aussi membre d’un Réseau interdisciplinaire de chercheurs sur le Don et la Transplantation d´Organes :
http://ethictransplantation.blogspot.com/2006/06/rseau-de-chercheurs-sur-le-don-et-la.html

• Pour une approche à la fois médicale et éthique des transplantations d’organes, la lecture du livre «Médecin aux urgences», du Dr. Marc Andronikof et de Jacqueline Dauxois (Editions du Rocher, 2005) est très utile. Il s’agit d’un livre accessible au grand public, nullement technique, menant une réflexion sur les problèmes éthiques et médicaux en termes simples et percutants. Ce livre mène également une réflexion religieuse sur ces problèmes (point de vue de l'orthodoxie russe, mais pas seulement).

En espérant que ces quelques conseils seront utiles pour les recherches de votre fille...
Cordiales salutations,
Catherine Coste

Anonyme a dit…

Bonjour Catherine,

Merci beaucoup pour ce long développement que vous apportez à ma réflexion ainsi que pour les sites et references que vous me proposez de consulter.J'espère que cela incitera aussi d'autres citoyens à le faire.Pour ma part lorsque j'ai parlé autour de moi de don d'organes après déces, j'ai constaté que tout le monde ignorait la définition du mot déces : personne ne savait que les médecins déclarent décédée une personne qui respire et dont le coeur bat encore. C'est surtout ce point qui me choque. La grande majorité des citoyens est dupée. J'ai regardé le formulaire proposé en ligne par le Registre national des refus (qui est aussi l'agence de la biomédecine chargée de promouvoir le don : organisme bicephale ? Faudrait-il faire un rapprochement avec la définition de mort encephalique et entrevoir une suggestion + ou - inconsciente pour résoudre le problème ?) La présentation coupe le souffle : on joue sur le contresens volontairement entretenu autour du mot déces pour faire apparaitre comme ignoble celui qui oserait s'opposer au don : ça me révolte. Encore merci pour votre site. Les reflexions que vous pouvez y recueillir peuvent-elles servir dans vos relations médicales pour faire en sorte qu'une communication officielle honete s'instaure ?
Cordialement.

Ethics, Health and Death 2.0 a dit…

Mireille,
Merci pour ces réflexions. En tant qu'usager de la santé je suis aussi passée par ces étapes de réflexion, à mon sens tout à fait justifiées.

Lors de mes entretiens "officiels" avec le corps médical français, on m'explique qu’on se trouve dans une médecine de la transgression depuis l’existence même de la chirurgie, de l’avortement, et, en remontant dans le temps, de la dissection des cadavres. Qu'il s'agit de choisir son camp : non pas celui qui est idéal (on est dans la transgression, la violence, il n’y a pas de camp idéal, où on est à l’abri des "mains sales"), mais celui qu’on croit être le moins pire. La justification éthique du prélèvement d’organes, c’est qu’on va aider des patients en attente de greffe. Si on prélève sans être dans cette optique, ce n’est pas éthique (je cite les propos d'un chirurgien hospitalier chef de service). Si dans l'ensemble, le corps médical français est plus sensibilisé qu'auparavant à la souffrance des familles confrontées au don d’organes (cette souffrance est moins censurée), en même temps, sa position sur la mort encéphalique est très claire : pas de transgression de la règle du donneur mort (« dead donor rule »), pour lui, ce qui se fait au Canada et aux USA (et l’ouverture du débat vers l’opinion publique) pose des problèmes d’éthique ; tandis qu’en France, toujours selon la position officielle, la mort encéphalique telle qu’elle est légalement définie et les critères de diagnostic offrent des garanties maximales de sécurité pour le prélèvement d’organes. Ce Blog ne fait que rendre compte des polémiques existant à l’heure actuelle au sujet des concepts de mort encéphalique et de mort cérébrale, ainsi que des lacunes dans la communication grand public en France ; il ne vise pas à promouvoir le don d’organes, ou à prendre position contre, il vise à informer, comme vous l'avez compris. Si les problèmes d'éthique qu'il soulève rencontrent l'intérêt du corps médical (et du grand public), on peut dire que l'enquête sur la mort encéphalique a soulevé de vives protestations au sein de ce même corps médical, et a pu choquer le grand public, comme vous en témoignez lors de votre premier message. Néanmoins, certains médecins (pas seulement Français)ayant rendu publique leur réticence envers les transplantations d'organes du fait de problèmes d'éthique, il est normal que ce Blog à visée informative en rende compte. Et cultive le pluri-perspectivisme...

Etant conviée à une séance de travail au Sénat jeudi 11 janvier 2007, je ne manquerai pas de vous informer au cas où la communication officielle évoluerait. Le modeste but de ce Blog est de venir compléter la communication officielle tant que cela sera nécessaire... Et sa mission la plus "noble" est de créer un espace d'information et d'échange pour les usagers de la santé.

Merci encore pour votre message. Au plaisir de vous lire,
Catherine Coste

Ethics, Health and Death 2.0 a dit…

Mireille,
Merci pour ces réflexions. En tant qu'usager de la santé je suis aussi passée par ces étapes de réflexion, à mon sens tout à fait justifiées.

Lors de mes entretiens "officiels" avec le corps médical français, on m'explique qu’on se trouve dans une médecine de la transgression depuis l’existence même de la chirurgie, de l’avortement, et, en remontant dans le temps, de la dissection des cadavres. Qu'il s'agit de choisir son camp : non pas celui qui est idéal (on est dans la transgression, la violence, il n’y a pas de camp idéal, où on est à l’abri des "mains sales"), mais celui qu’on croit être le moins pire. La justification éthique du prélèvement d’organes, c’est qu’on va aider des patients en attente de greffe. Si on prélève sans être dans cette optique, ce n’est pas éthique (je cite les propos d'un chirurgien hospitalier chef de service). Si dans l'ensemble, le corps médical français est plus sensibilisé qu'auparavant à la souffrance des familles confrontées au don d’organes (cette souffrance est moins censurée), en même temps, sa position sur la mort encéphalique est très claire : pas de transgression de la règle du donneur mort (« dead donor rule »), pour lui, ce qui se fait au Canada et aux USA (et l’ouverture du débat vers l’opinion publique) pose des problèmes d’éthique ; tandis qu’en France, toujours selon la position officielle, la mort encéphalique telle qu’elle est légalement définie et les critères de diagnostic offrent des garanties maximales de sécurité pour le prélèvement d’organes.

Ce Blog ne fait que rendre compte des polémiques existant à l’heure actuelle au sujet des concepts de mort encéphalique et de mort cérébrale, ainsi que des lacunes dans la communication grand public en France ; il ne vise pas à promouvoir le don d’organes, ou à prendre position contre, il vise à informer, comme vous l'avez compris. Si les problèmes d'éthique qu'il soulève rencontrent l'intérêt du corps médical (et du grand public), on peut dire que l'enquête sur la mort encéphalique a soulevé de vives protestations au sein de ce même corps médical, et a pu choquer le grand public, comme vous en témoignez lors de votre premier message. Néanmoins, certains médecins (pas seulement Français)ayant rendu publique leur réticence envers les transplantations d'organes du fait de problèmes d'éthique, il est normal que ce Blog à visée informative en rende compte. Et cultive le pluri-perspectivisme...

Etant conviée à une séance de travail au Sénat jeudi 11 janvier 2007, je ne manquerai pas de vous informer au cas où la communication officielle évoluerait. Le modeste but de ce Blog est de venir compléter la communication officielle tant que cela sera nécessaire... Et sa mission la plus "noble" est de créer un espace d'information et d'échange pour les usagers de la santé.

Anonyme a dit…

Un simple commentaire. Une personne en mort encéphalique étant morte légalement mais respirant donc encore sous l'effet du respirateur et donc rose. Un acte de décet peut être signé. Et ensuite? Peut on placer le corps dans un cercueil avec le respirateur (difficile). Donc on arrête le respirateur? Ou bien non... La mort reprend alors une certaine réalité mais devenant réelle et visible semble plus préoccupante qu'une constatation légale. Qu'en dit l'éthique?

Ethics, Health and Death 2.0 a dit…

Merci pour cette question... complexe... qui en appellerait une autre : est-on, collectivement, aujourd’hui bien au clair sur la définition même de la mort ? Quels sont les fondements d’une telle définition ? Sont-ils connus et admis de tous ? Cette question a été posée par le Dr. Marc Guerrier, Espace Ethique de l'AP-HP (11/2006).
Déterminer le moment précis de la mort, affirmer avec certitude l’état de mort a toujours été une préoccupation et une difficulté de l’homme, avec la peur pendant des siècles de l’inhumation prématurée. Quand reconnaît-on la disparition des derniers signes de la vie pour affirmer la mort ? Avec la réanimation, on peut désormais suppléer des fonctions cardiaques et respiratoires qui représentaient jusqu’alors les critères scientifiques indiscutables de la mort. Cette "technicisation de l'agonie" (M. Andronikof) va amener d'autres peurs : autrefois, on avait peur d'être enterré vivant. Maintenant, on a peur des morts qui n'en seraient peut-être pas : que penser des patients en état de mort encéphalique, maintenus en vie artificielle ou réanimés, le temps que leurs organes soient prélevés et qu'ils décèdent "pour de bon" ? L’aspect non conventionnel de la mort, puisque le cœur bat et la peau est chaude, n'aide pas, comme vous le soulignez. Penser que ce corps est mort n’est pas aisé.
Je voudrais citer le Dr. Guy Freys, Département de Réanimation chirurgicale des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, et son excellente présentation :"On ne meurt qu’une fois, mais quand ?", lors de la Conférence : "Les Deuxièmes Journées Internationales d'Ethique : Donner, recevoir un organe, Droit, dû, devoir" (03/2007) : "(...)
la mort encéphalique, c’est quand ? On meurt quand de la mort encéphalique ? La mort encéphalique, par rapport à la mort qu’on connaissait, a finalement un moment très très précis de décret. Puisque c’est le moment où les critères seront rassemblés. Mais le patient, qui deviendra alors automatiquement médico-légalement un cadavre, finalement, ce cadavre en réalité, il était mort depuis un certain temps. Concrètement : suivant les critères retenus dans les différentes législations, vous serez reconnu comme mort à 17h00 en Espagne dès la réalisation du premier EEG puisqu’il s’agit là des critères adoptés en Espagne, par contre dans la même situation en France, on devra attendre quatre heures de plus et réaliser un deuxième EEG pour vous décréter mort. Aux Etats-Unis, où dans la moitié des hôpitaux, les critères d’observation du tableau clinique sont suffisants, suivant les Etats, il faudra attendre 6 à 24h00 avant de vous déclarer mort." Tout ceci ne fait que reprendre et détailler ce que vous résumez de manière très concise. Si on veut être sûr de la mort, il faut attendre d'être dans un état... qui ne permet aucun prélèvement d'organes. Mais que penser d'un "mort réanimé" qui a perdu ses droits de malade en fin de vie ? Ce "mort réanimé" est devenu un simple pourvoyeur d’organes, ce n'est plus une personne. On comprend que la déontologie médicale qui préside au prélèvement d’organes sur donneurs "décédés" est particulière. Elle est d’ailleurs controversée dans le milieu médical lui-même, puisque tout médecin est censé poursuivre le bien du seul patient qu’il a en charge, et non pas sacrifier l’intérêt dudit patient à celui de la communauté (des patients en attente de greffe). Le médecin ou chirurgien acteur des transplantations se trouve donc pris dans un dilemme, opposant service à l’individu et service à la collectivivité.

Le Dr. Marc Guerrier écrit :

"Comment les réanimateurs vivent-ils la dualité de leur mission lorsqu’ils assurent par tous les moyens une circulation sanguine d’abord sur une personne à qui ils espèrent redonner vie, puis sur le corps de la même personne au moment même où ils renoncent à cet espoir ? Doit-on craindre la survenue de conflit d’intérêt à cet égard ?"
(Dr Marc Guerrier, Adjoint au directeur de l’Espace éthique / AP-HP, Département de recherche en éthique Paris-Sud 11 : "Les Prélèvements 'à coeur arrêté' : enjeux éthiques", 15 novembre 2006.)

L'éthique nous parle donc de conflit d'intérêt. Examinons ce conflit d'intérêt de plus près :
Quelles sont donc ces formes de mort paradoxales, qui permettent le prélèvement des organes ("mort encéphalique", "arrêt cardio-respiratoire persistant")? A-t-on affaire à une forme de mort équivoque ? Reconnaître cela, c'est évoquer sans tabous la difficulté à déterminer d'un point de vue scientifique le moment exact de la mort...

A l'heure actuelle, les patients en état de "mort encéphalique", et ceux en état d'"arrêt cardio-respiratoire persistant" sont présentés, dans le discours public sur le don d'organes, comme morts. Or le diagnostic de mort est en fait basé sur l'irréversibilité de l'état de ces patients. N'y-a-t-il pas là une faute de méthodologie ? C'est pourtant l'affirmation de ce diagnostic de mort qui est censé recueillir l'acceptation sociétale de la pratique des prélèvements d'organes. Or techniquement, le donneur est soit maintenu en vie artificielle, soit réanimé, pour décéder au moment du prélèvement de ses organes (à une heure qui arrangera les équipes chirurgicales qui prélèveront ses organes). Est-ce éthique de dire à leur entourage que ces patients sont décédés avant le prélèvement de leurs organes ?
On voit mal comment l'entourage d'un patient qui va être "euthanasié", non dans son propre intérêt, mais dans l'intérêt de patients qui attendent de récupérer ses organes, pourrait bénéficier d'une information "neutre" : la "déontologie" particulière qui est à la base du don d'organes ne permet pas la neutralité de l'information ... On se heurte donc à des contradictions insurmontables : devoir du médecin envers la collectivité, qui va à l'encontre du devoir de ce même médecin envers son patient. Le 09/09/2005, le Professeur Louis PUYBASSET, Unité de NeuroAnesthésie-Réanimation, Département d'Anesthésie-Réanimation, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris), témoignait de ce conflit, en répondant à ma question concernant l'anesthésie des donneurs d'organes dits "décédés" :

"Je suis responsable d’une réanimation de neurochirurgie qui s’occupe beaucoup de prélèvements d’organes. Le diagnostic de mort cérébrale en France est le plus rigoureux du monde. Il repose sur la conjonction d’un examen clinique indiscutable et de 2 EEG plats en normothermie ou d’un angioscanner ou d’une artériographie montrant une perfusion nulle du cerveau. Il n’en est pas de même dans d’autres pays où vos craintes pourraient être partiellement justifiées (USA, Angleterre où ces examens ne sont pas requis). Je peux vous affirmer qu’avec une telle démarche, les patients prélevés n’ont réellement plus aucune fonction cérébrale. J’en veux pour preuve que tous ceux pour lesquels la famille refuse et que nous extubons décèdent dans les quelques minutes qui suivent. Cela n’empêche pas que des réactions médullaires peuvent persister chez ces patients, comme cela survient chez les tétraplégiques, si la moelle reste encore vascularisée. Ceci peut parfois être responsable de mouvements automatiques des membres à la stimulation douloureuse qui peuvent être impressionnant. C’est la raison pour laquelle ces patients sont le plus souvent maintenus sous morphine à petites doses.

Le problème de la réanimation de ces patients en vue de prélèvements est différent. Je vous répondrai que cette réanimation est limitée dans le temps et qu’elle est douloureuse pour les soignants. Si nous faisons cela, ce n’est pas pour faire souffrir une famille mais pour sauver d’autres vies. (...)"
Le Professeur Puybasset a aussi témoigné de l'existence d'un conflit, pour les familles confrontées au don d'organes, entre l'accompagnement du mourant et le don d'organes.
Je cite à présent le Dr. Marc Andronikof, chef du service des urgences à l'hôpital Antoine-Béclère, Clamart : "Il est évident, et ce n'est nié par personne, que les soins au 'donneur' sont profondément modifiés lors de l'optique d'un prélèvement. C'est tout à fait incompatible, à mon avis, (et ce devrait être l'avis de tout philosophe et de tout médecin honnête) avec une prise en charge médicale 'éthique'. Le 'donneur' perd sa qualité d'être humain, de malade, il est réduit à l'état de 'moyen', de pourvoyeur d'organes. La qualité de relation médecin/malade est par là totalement pervertie puisque le médecin ne poursuit plus le bien de celui qu'il a en charge. Au mieux, on est au pire de l'acharnement thérapeutique. Je ne comprends toujours pas que nos philosophes et chantres de l'éthique à tout crin n'aient jamais exposé 'ex cathedra' ces considérations simples. Ce silence est lui aussi scandaleux."

Rappelons ce que proposaient MM. Halevy et Brody dans leur article de 1993 : sortir de l'hypocrisie de parler de mort, mais définir clairement les étapes où on peut :
prélever les organes,
arrêter les machines
ou appeler les pompes funèbres ...

J'ai plus développé et analysé les implications de votre question qu'apporté des réponses, tant il est vrai que l'éthique n'a pas La réponse.

Ethics, Health and Death 2.0 a dit…

Un autre élément de réflexion sur ce statut du défunt, qui peine à s'élaborer. Claire Boileau, "Dans le dédale du don d'organes. Le cheminement de l'ethnologue", Editions des archives contemporaines, 2002. Un livre indispensable, pour mener une réflexion sur les transplantations. A mon avis, le meilleur livre qui existe , sur la question de l'amont de la greffe. [page 105 :] "Qu'il s'agisse des prélèvements d'organes ou de tissus, il apparaît que le statut du défunt peine à s'élaborer et est sans cesse travaillé par des référents contraires : celui du vivant et de la greffe ou celui de la mort, de la souillure et de l'impureté.
Parce que la finalité thérapeutique du prélèvement est différée par rapport à l'acte chirurgical, le donneur est perçu comme une sorte d'intermédiaire encombrant, compromettant la bonne marche des services. Sa posture empiétante autant qu'inquiétante remet en cause les limites habituellement imparties au champ soignant." Ce court paragraphe cité ne saurait remplacer la lecture de ce livre, indispensable à qui veut comprendre l'amont de la greffe...

Anonyme a dit…

On retient entre autres, du généticien et philosophe Axel Kahn, l’un des principes qui fonde l’action. Ce principe est dérivé de Kant, mais il est aussi présent dans d’autres philosophies. Il s’agit de l' "identité entre Moi et les Autres", en d’autres termes : je ne peux pas faire aux autres ce qui je ne souhaite pas que l'on me fasse. Ce principe me paraît important, en particulier dans le domaine du don d’organes. Ce principe dépasse l’ "approche médicale" de fin de vie, puisque la médecine n’a pas encore été capable de définir le passage du vivant au mort. Par conséquent il touche le problème essentiel qui fonde le don d’organes, et peut aussi être à la base de notre éthique.