Scientific MOOCs follower. Author of Airpocalypse, a techno-medical thriller (Out Summer 2017)


Welcome to the digital era of biology (and to this modest blog I started in early 2005).

To cure many diseases, like cancer or cystic fibrosis, we will need to target genes (mutations, for ex.), not organs! I am convinced that the future of replacement medicine (organ transplant) is genomics (the science of the human genome). In 10 years we will be replacing (modifying) genes; not organs!


Anticipating the $100 genome era and the P4™ medicine revolution. P4 Medicine (Predictive, Personalized, Preventive, & Participatory): Catalyzing a Revolution from Reactive to Proactive Medicine.


I am an early adopter of scientific MOOCs. I've earned myself four MIT digital diplomas: 7.00x, 7.28x1, 7.28.x2 and 7QBWx. Instructor of 7.00x: Eric Lander PhD.

Upcoming books: Airpocalypse, a medical thriller (action taking place in Beijing) 2017; Jesus CRISPR Superstar, a sci-fi -- French title: La Passion du CRISPR (2018).

I love Genomics. Would you rather donate your data, or... your vital organs? Imagine all the people sharing their data...

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Dialogue


J'ai assisté accidentellement à un prélèvement d'organes sur un enfant décédé (il devait avoir 7 ou 8 ans) et ai été traumatisée par ce "spectacle". Au-dessus de l'enfant mort que l'on éventrait pour prélever les organes, deux chirurgiens s'affrontaient sans ménagement, l'un étant satisfait que les parents aient autorisé le prélèvement d'organes sur leur fils décédé, tandis que l'autre avait l'air beaucoup moins certain du bien-fondé de ce qui se déroulait. D'ailleurs ce dernier n'oeuvrait pas, il a simplement eu un début de discussion houleux avec ses collègues puis a brusquement quitté le bloc.

Je suis ressortie en complet état de choc : je venais d'assister à une scène bouleversante : on ranime le coeur et les poumons de l'enfant décédé pour pouvoir le prélever. L'un des chirurgiens de l'équipe de prélèvement a même fait la remarque suivante :

"- On vient de ressusciter un mort !"



N'ayant aucune connaissance médicale en matière de réanimation, vu de l'extérieur, j'ai purement et simplement vu le spectacle suivant : l'enfant revit ! Et c'est précisément à ce moment là qu'on procède à l'éventration pour prendre les organes (coeur, poumons...), sans aucune anesthésie au préalable (puisqu'il est mort...)
L'enfant était encore chaud, on avait d'ailleurs dit à la famille : "-Vous allez voir, il est encore chaud, mais il ne vit plus". Il faut bien avouer qu'il y a une contradiction dans les termes quand on dit : "-On va prélever les organes vivants de votre enfant mort" !!

Je ne savais que penser, puisque visiblement un conflit faisait rage entre deux chirurgiens au sein de l'équipe qui oeuvrait dans l'urgence afin de prélever les organes, l'un des deux ayant brusquement quitté le bloc. Si encore j'avais pu me dire : bon, c'est terrible ce que j'ai vu, mais c'est pour la bonne cause, n'est-ce pas ? Mais j'ai pu constater que visiblement il y avait un conflit !

Comment pouvais-je être certaine de ce que j'avais vu, et de bien le comprendre, moi qui viens du grand public, qui ne connais que ce qui filtre des actus : les progrès techniques en matière de transplantation d'organes, les progrès dans le traitement des rejets de greffons, les luttes héroïques des pionniers de la transplantation! Car il faut bien admettre que les greffes, ça marche, on sauve la vie des gens avec !

Aujourd'hui encore, ces images d'il y a quelques années me hantent, et je cherche une réponse...

J'ai travaillé au sein d'une société qui commercialise du matériel chirurgical et ai donc eu l'occasion d'entendre les confidences de chirurgiens qui eux aussi ont été "choqués"(au sens de "saisis" plus qu'au sens d'"indignés", du moins je l'espère) par la pratique du prélèvement d'organes sur donneur "décédé".

Par la suite, j'ai lu le livre du Dr. Andronikof : "Médecin aux Urgences". Ce livre a mis des mots sur ce que je ressens et qui m'étouffe depuis trois ans.

J'ai aussi compris qu'il n'était pas tout à fait politiquement correct pour un chirurgien de l'AP-HP d'exprimer ce désarroi sur la place publique, et que le désarroi en question se transmettait bien plus souvent sous le manteau que sur la place publique.

J'ai donc voulu faire parler "les voix sous le manteau" sur mon blog.

Je dois dire qu'à l'heure qu'il est je suis un peu désorientée : je n'arrive pas à savoir si je veux être donneur d'organes ou pas, s'il arrivait qu'un jour je me retrouve en état de mort cérébrale.

Face à tous ces changements :

- re-définition de la mort en aout 2004 afin de pouvoir favoriser la pratique des transplantations d'organes,
- nouvelle agence de Biomédecine qui chapeaute en France depuis mai 2005 toutes les questions liées au développement des nouvelles techniques et technologies médicales (procréation assistée, clonage à visée thérapeutique, prélèvement d'organes),
- querelle des spécialistes car les pratiques du prélèvement d'organes sont loin de faire l'unanimité au sein du corps médical,
- politisation du problème. Mais au moins le Sénat réfléchit d'avantage à ces problèmes éthiques et médicaux, désormais ! Voilà au moins une bonne chose !

Face à tout cela, il me faut le temps de prendre du recul, de mesurer l'évolution des pratiques et des mentalités. Pour l'heure, il me semble qu'on adapte sans hésiter l'éthique aux besoins...

Si je suis en état de mort cérébrale ou d'arrêt cardiaque et qu'on me prélève, est-il certain que je ne ressentirai aucune douleur ?

Y-a-t-il une seule réponse ou est-ce au cas par cas ?? Autant de questions que je me pose encore ... et auxquelles la création de l'Agence de Biomédecine (en mai 2005) devrait répondre !...

Je cite le Professeur Jean Marty, chef du service anesthésie-réanimation à l'hôpital Beaujon de Clichy :

"'Le mort saisit le vif.'

Il existe une face cachée, plus ingrate, négligée ou mal reconnue, qui se pratique dans le deuil, la souffrance et l'isolement. Elle consiste à maintenir en vie les organes d'un patient déjà mort en vue de les greffer sur d'autres.[...]

Qui se doute que ce travail sur le mort est quelquefois terrifiant et ne se fait pas sans une profonde souffrance et un questionnement incessant sur les problèmes éthiques et moraux qu'il pose ? Qui peut annoncer sans faiblir aux familles, aux parents, la mort d'un des leurs, dans des conditions souvent tragiques, parfois en pleine nuit, avouer son impuissance : 'On n'a rien pu faire', affronter leur désespoir, leur révolte et leur demander, en même temps, l'autorisation d'effectuer des prélèvements ?

Seul l'espoir de sauver une vie, de réinvestir le vivant au sens littéral de l'ancienne formule juridique du Moyen Age 'le mort saisit le vif', permet de continuer la tâche. Car peut-on envisager d'autres possibilités de greffes que le prélèvement sur un mort?"

Salle d'Opération. Des chirurgiens racontent. Editions de l'Archipel, 2003. Préface par le Professeur Christian Cabrol.
Copyright © L'Archipel, 2003.

Et maintenant je cite Jacqueline Dauxois et le Dr. Marc Andronikof :
« M. Andronikof : Le prélèvement tel qu’il est pratiqué aujourd’hui consiste à vous tuer. On accélère votre mort pour vous prélever. Tout doit être utile.
J. Dauxois : Vivant, on donne un morceau de soi, alors que dans le coma, tout est enlevé.
M. Andronikof : On vous prend tout : le cœur, les poumons, le foie, les reins, l’intestin, le pancréas, etc. Il ne reste rien.
J. Dauxois : Donc, dans un cas, on reste entier, moins un fragment d’organe qui se cicatrise ou se reforme et dans l’autre cas, on me dépèce […] Nous parlons de la transplantation, mais je n’ai aucune idée de la manière dont on procède […]
M. Andronikof : Dans une opération, on est au moins deux, plus l’instrumentiste, donc trois. Pour prélever les reins arrivent les urologues, deux plus un ; pour le cœur les cardiologues, deux plus un, pour le foie, autre équipe, deux plus un, et ça continue ! […] Les seuls organes qui peuvent attendre quelques heures, ce sont les reins, mais le cœur et le foie doivent être transplantés tout de suite. […]. Tous ceux qui participent se sentent extrêmement importants puisque depuis trente ans on leur répète que c’est génial ce qu’ils font, et c’est vrai. […] Si vous supprimez la transplantation, des pans entiers de la médecine en Occident s’effondrent. […] Cela pourrait être la conclusion sur les transplantations : on ne peut donner que de son vivant, et tout autre mode de transplantation est inenvisageable. »

Jacqueline Dauxois ; Dr. Marc Andronikof : Médecin aux Urgences, Editions du Rocher, 2005. © Editions du Rocher, 2005.

Des chirurgiens et des robots


JOB et le PHARISIEN :

Un Pharisien (de la ville de Pharis) allant sur des béquilles le long de Montraison rencontre Job cheminant, malade, sur la route de Saint-Désir. Ils en sont les premiers étonnés : quoi, c’est ici et maintenant, le croisement entre Montraison et Saint-Désir ? Ils s’examinent de loin sans beaucoup d’indulgence réciproque en cet endroit où la lumière tient lieu de multitude. Job en oublie ses “Pourquoi” adressés à Dieu et les adresse mentalement au Pharisien contre lequel il sent sourdre en lui le vin de la révolte. Quoi, il va falloir se croiser (chacun veut continuer sa route). Job se dit qu’avec cette brève rencontre - ô parabolique ironie - l’autre va trouver quelque réconfort : un peu de vin. Lui, qui a moins que rien, il va encore falloir qu’il donne comme en offrande à ce Pharisien un peu de ce moins que rien. Enfin ça, c’est lui qui le dit. Pour l’autre, un verre de ce vin honnête, après ce long chemin, vaut son pesant d’or. Donc, ils vont se croiser.

Allons, ce n’est pas si terrible que ça. Qu’est-ce, un carrefour, en comparaison de la croix que porte Job - celle qu’il ne pourrait jamais, fût-il le plus madré des marchands, vendre à un Pharisien, même pour quelques deniers. Cette croix dont il ne se séparerait pas pour tout l’or du monde. Un petit croisement, a-t-on dit ? Mais c’est qu’il commence à sacrément s’élargir dans l’espace et dans le temps, ce petit croisement-là. C’est connu, dès qu’on parle d’argent, qu’on en ait ou non, les choses prennent tout de suite une autre dimension.
Bon, supposons que le passage de ce carrefour ne soit pas une mince affaire. Ni pour l’un, ni pour l’autre. Dans les quelques mètres qui précèdent ce croisement, l’un comme l’autre raffermissent leur allure. L’un va sur ses béquilles comme s’il s’agissait d’être porté par les tuteurs de la Raison (Savoir et Prospérité) en personne, tandis que Job semble ne plus toucher terre, comme porté par deux ailes. On dirait qu’il est épaulé par Nostre Miséricorde et Sainte-Gloire faits hommes. Ils vous ont cet air d’être tout droit sortis de l’Ancien Testament. Mais plus ils se rapprochent l’un de l’autre, plus leur allure s’humanise aux yeux du témoin de cette scène.
Moins figés, moins symboliques, mais n’est-ce pas là qu’ils vont prendre leur sens le plus biblique. Toujours au regard de ce témoin. On devine qu’il se pourrait bien qu’ils vivent cette scène sans échanger un mot. Alors, ce serait dommage, n’est-ce pas. Et cette scène, elle ne va pas être racontée par l’opération du Saint-Esprit. Présence bien humaine, donc, d’un tiers dont la parole sera esprit de communion, et non rage de la communication.
D’abord confondus avec leur segment de route respectif, à les regarder au loin progresser ainsi, ils semblèrent, plus ils se rapprochaient l’un de l’autre, en émerger, prendre corps directement à partir de ce paysage - plus exactement à partir de la lumière de ce paysage. Ils n’allaient pas se croiser idéalement, mais dans la réalité. Le témoin précise, car il se pourrait qu’arrivé à ce point de l’histoire, un lecteur s’exclame : “C’est aussi beau qu’irrémédiable !”.

Déshabiller Pierre pour habiller Paul, ou une rencontre inespérée entre Job et le Pharisien ?

Eté 2002, Ecole Européenne de Chirurgie, au cœur du Quartier Latin à Paris. J’assiste à une « démo » en chirurgie robotique. En salle de dissection, qui ne comptait ce jour là que des âmes vives, quelques chirurgiens s’exercent, en manipulant deux « joysticks », sortes de commandes manuelles du robot chirurgical da Vinci™. Ces « joysticks » commandent des instruments chirurgicaux situés au bout de deux bras mécaniques, à distance de la console où est assis le chirurgien. Celui-ci a le visage penché vers un écran en 3D et manipule les « joysticks » tout en regardant ce qui se passe à l’écran. Les instruments, pourtant situés à quelques mètres de la console, sont commandés par les mains du chirurgien sur les « joysticks ». Ceux qui observent la scène voient les instruments chirurgicaux, tenus par les bras du « robot », en train d’opérer sur de petits éléments du « training kit ». Ce dernier est censé imiter la texture de certains organes humains. On dirait un mini terrain de jeux pour enfants en maternelle, en matière caoutchouteuse aux couleurs vives.

Les exclamations fusent. Certains chirurgiens seniors (chefs de service ?) lâchent, du haut de leurs ans : « C’est comme au tennis de table ! », tout en donnant du poignet à petits coups secs et raides lorsqu’ils manipulent les « joysticks ». Ils regardent autour d’eux en quêtant les rires du public (collègues et infirmières) – visiblement ils sont venus pour pique-niquer (bbbrrr ! il ne ferait pas bon être opéré avec eux aux commandes du « robot » !). Oubliées leurs longues heures d’étude en salle de dissection, pour le moment ils singent leurs petits-fils en pleine action sur leur Gameboy. Car pour eux c’est ce qu’on leur présente : un nouveau jeu pour grands enfants, made in Disneyland. Tantôt ils fouettent l’air au dessus du « kit de training », tantôt ils le massacrent. Vu ce qu’ils font subir à ce pauvre caoutchouc, je n’aimerais pas être à la place des organes opérés ! Quelques jeunes infirmières s’essaient timidement : « Comme c’est facile ! ». Elles piquent, cousent avec précision : de vraies « petites mains » de couturière de chez Dior ! On croirait entendre le caoutchouc soupirer de soulagement.

Un peu à l’écart, quelques chirurgiens de l’AP-HP conversent à bâtons rompus. Je me joins à l’un de ces groupes. Parmi eux, un « Chir. digestif », comme on dit dans notre jargon, au sein du service des ventes, dans notre boîte californienne de matériel de chirurgie robotique, pour désigner les prospects et clients, selon leur spécialité : GYN (épeler chaque lettre en anglais, désigne la gynécologie), urologie, cardiaque, pédiatrique... C’est de pédiatrique que l’on parle, justement.

Le « Chir. » de l’AP-HP raconte : « C’était la nuit du 24 décembre, Noël il y a 10 ans, mais je m’en rappelle comme si c’était hier. Depuis, à chaque Noël, je me repasse le film. »
Il poursuit : « Un petit garçon de 8 ans. On venait de le perdre sur la table d’opération. On annonce le décès aux parents, on leur demande s’ils permettent qu’on prélève les organes de leur petit garçon. Il faut qu’ils prennent leur décision très rapidement. C’est oui. On retourne au bloc, on pose ailleurs le doudou que le petit tient encore dans ses bras, et on ouvre. Je peux vous dire que tout le monde présent, les toubibs, les infirmières … (il poursuit en mimant de ses deux index le tracé des larmes coulant de ses yeux à ses joues) ». Et cela continue, ses souvenirs coulent en de longs et discrets sanglots, interrompus pour mieux reprendre, atteignant ceux qui écoutent comme un coup de poing à l’estomac. Tout le monde autour a en effet le souffle coupé. Pourtant, ce qu’il confesse là, c’est connu : un prélèvement d’organes. Un process règlementé, dont la médecine est fière. Le point d’orgue du progrès de la médecine. Comme la chirurgie robotique. Alors pourquoi ce regard traqué, cette voix honteuse, ces doutes qu’il cloue irrémédiablement aux quatre coins des murs qui ont des oreilles, les miennes en l’occurrence ??

Je repense au Directeur Commercial de ma boîte de chirurgie robotique : Affalé derrière son bureau enterré sous des piles d’e-mails imprimés (des printouts, dans notre jargon de start-up californienne), tasses à café vides et sales, gants chirurgicaux (il y a même un ou deux scalpels qui dépassent des papiers), et tout ce que je ne vois pas (attention : ce type est dangereux !!!), il me lance : «Qu’est ce que vous croyez ? Depuis notre première présentation, il y a cinq ans, ils rigolent toujours, à Foch ! Morts de rire, les gars !».

Se reportant cinq ans en arrière, il poursuit, très Dir. Com. made in USA à la conquête des marchés européens :

«On a fait une dizaine de cas en chirurgie cardiaque avec le robot chirurgical. Tous les patients sont morts, mais on continue les essais cliniques. Le système de chirurgie assisté par ordinateur coûte 1.200.000 EUR, plus les instruments. » Il ajoute, comme en voix off de son discours commercial d’il y a cinq ans à l’Hôpital Foch : « Ouais, ils rigolent encore !».

Certes, cinq ans après ces débuts ingrats, quelque 10.000 cas ont été effectués, dans cinq spécialités chirurgicales, et les statistiques indiquent que le taux de mortalité opératoire n’est pas plus élevé en chirurgie robotique qu’en chirurgie traditionnelle. Bien sûr on ne peut pas encore faire en chirurgie robotique tout ce qu’on fait en chirurgie traditionnelle, mais on progresse... de marquage CE en marquage FDA, à moins que ce ne soit de marquage FDA en marquage CE, afin d’autoriser les instruments et les procédures en Europe et aux USA...

Je tente de suivre, mais je suis à la ramasse... Le milieu hospitalier institutionnel français et ses dédales kafkaïens de règlementations normées et codées ont bien du mal à suivre les cadences imposées par la FDA. D’ailleurs, le dédale kafkaïen, qui ne connaît aucun antécédent en matière de chirurgie robotique, refuse de suivre, il se cabre et voilà que cela tire à hue et à dia entre les «approbations » CE et FDA ! Dommage pour moi, je suis au milieu ! Voilà pourquoi il est indiqué sur mes cartes de visite que je suis la « Coordinatrice des Ventes » de notre société de chirurgie robotique : je me fais reprocher mon inconsistance par le milieu hospitalier institutionnel français, tandis que côté américain, ils disent que les Français sont de sacrés coupeurs de cheveux en quatre ! Considérant avec perplexité une de ces satanées cartes de visite mentionnant mon rôle de « Coordinatrice », je visualise l’expression idiomatique en anglais : « se pencher en avant en arrière », « to bend over backwards ». A la place de « Coordinatrice », je ferais volontiers imprimer : « En avant avec les Américains, en arrière avec les Français ! », ou encore : « Je suis comme le bon dieu ou le sucre dans le café au lait : partout et nulle part à la fois !».

Dans le métro, en route pour mon domicile, je navigue entre l’histoire du prélèvement d’organes sur le petit garçon de 8 ans et celle des développements de la chirurgie robotique résumée par mon boss affalé derrière son bureau. Le visage du progrès médical n’est pas aussi lisse qu’on voudrait nous le faire croire... Pourquoi ces chirurgiens chevronnés sont-ils encore bouleversés par la mort d’un enfant 10 ans après ? Quels regrets, quels doutes les hantent ?

Un peu plus tard, il se trouve que j’écris au Professeur David Khayat, chef de service du département d’oncologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, au sujet de son livre :
« Le Coffre aux âmes », XO Editions (paru en 2002) :

Que contient la boîte de Pandore d’un grand hôpital New-Yorkais à la pointe de la technologie ? En ouvrant cette boîte, David Khayat nous révèle les arcanes majeurs et mineurs des plus grands services d’hématopédiatrie et d’obstétrique au monde, à St Thomas Hospital, New York.

On s’attend à voir les démons de la science et les dieux ou demi-dieux de la religion s’entre-tuer, le Bon Dieu tirer le diable par la queue, « un thriller médical haletant », genre mystique.
A St Thomas Hospital, un toubib et sa femme se transforment en Orphée et Eurydice, un chef de service mondialement réputé en bonze tibétain pour le meilleur et pour le pire. Entre un médecin qui vendrait son âme aux diables de la réincarnation (son âme, donc celle des autres) pour vous guérir, et un autre qui accompagne, soulage et guérit sans outrepasser les limites du progrès technique, médical et humain contemporain, ne seriez-vous pas un tout petit peu tenté(e) de choisir le premier ? Si c’est le cas, ouvrez donc la boîte de Pandore, celle du « Coffre aux Ames ».

Un homme de science s’empare de la religion et des mythes indo-européens comme un dictateur le ferait du pouvoir lors d’un coup d’Etat. Le chef du service d’hématologie pédiatrique de l’Hôpital Saint-Thomas, après un séjour dans un monastère secret sur les pentes de l’Himalaya, se transforme en machine infernale à sauver pour venger la mort des deux êtres qui lui étaient les plus chers.
« Meurs et deviens ». Tandis que la Mort Bleue, ou Syndrome de Steiner, sévit dans le service d’obstétrique, des enfants leucémiques condamnés à une mort imminente sont mystérieusement sauvés in-extemis dans le service voisin, celui d’hématopédiatrie. Un couloir sépare les deux services.

Le Docteur Lévine, jeune interne ayant travaillé dans les deux services et autant de dettes envers les morts (son meilleur ami) qu’envers les vivants (sa femme), va devoir élucider le mystère de la Mort Bleue. Le Centre for Disease Control de New York, le gardien du Coffre des Ames, les religions judéo-chrétiennes, le médecin « qui est là pour vous guérir, quels qu’en soient les risques, quel qu’en soit le prix »…entrez dans la prestigieuse Fondation Greenspan dont les chefs de service sont les grands prix de l’Académie Nationale, et voyez comme ils ont charge d’âmes.

Avoir charge d’âme, c’est déshabiller Pierre pour habiller Paul, ou faut-il espérer une rencontre inouïe entre Job et le Pharisien ?

Aujourd’hui, comme chaque lundi depuis au moins trois ans, conférence téléphonique avec la maison mère, située dans la Silicon Valley californienne. Et comme toujours revient LA question :
[La maison mère] : « - Combien de systèmes prévoyez-vous de vendre ce trimestre ? Nous, on en a vendu 10 sur tout le territoire US le trimestre dernier. On compte faire encore mieux ce trimestre».
[L’Europe, baptisée : ROW : Rest of the World] : “- Des trois ventes prévues, aucune ne s’est réalisée, l’une d’elle est reportée d’au moins 6 mois, l’autre est annulée, la troisième nécessite un montage financier complexe qui prendra du temps»
[La maison mère] : « - Combien de temps ?»
[ROW] : « -…»
Sur ce, le VP Sales de la maison mère nous sort un joke américain pur sucre.
A ce point du conference call, on a en général le choix entre trois alternatives :

- si pas de système à 1.200.000 € vendu ce trimestre, vous êtes tous virés. Ca fait trop longtemps qu’on vous a avertis.
- on va vous envoyer nos gars des finances et du marketing pour réaliser un audit des opérations européennes.
- l’anecdote exemplaire illustrant la supériorité des Américains sur les Européens. La substantifique moëlle de cet axiome est régulièrement extraite lors des grand’messes en interne et autres worldwide sales meeting : « american technology is the best technology in the world ».

Cette fois-ci, ce sera l’anecdote :
[La maison mère] : « - Eh les gars, qu’est-ce que vous dites de ça ? Y a un chirurgien, il voulait le « robot » pour son service de chirurgie cardiaque, et l’administration de sa clinique a refusé de prendre en compte cette demande pour l’année à venir. Alors il a dit qu’il paierait lui même cash pour le « robot ». Il a été voir l’administration, il a sorti 1.200.000 USD de sa poche et il leur a demandé de commander le da Vinci™. »

Sous entendu : bon, vous avez de la chance, vous vous en tirez cette fois-ci parce qu’on est de bonne humeur, mais bougez-vous, ou on vous loupera pas la prochaine fois.

Mes patrons « ROW »sont de charmante humeur. Ca parle Q1, Q2, Q3 et Q4[1] à portes closes et farcies aux éclats de voix. Pendant ce temps, je sue sur mes tableaux croisés dynamiques, c’est-à-dire que le sablier à l’écran de mon ordinateur m’indique qu’il est en train de mouliner une base de données sur tableur XL avec l’application « Business Object » - que j’ai d’ailleurs fini par surnommer « Business Abject », parce que quand les équipes de la maison mère en Californie font des mises à jour sur Business Object, ils oublient d’effectuer les réglages adéquats pour la partie « ROW. ». A la suite de quoi je me retrouve « plantée » quand je veux mouliner mes données pour la mise à jour du reporting des cas en chirurgie robotique pour l’Europe, alias ROW. Cela m’arrive au moins un vendredi par mois, vers 19h30.

Heureusement qu’il y a les congrès et autres trade fair (foires commerciales ?!) pour me faire oublier ces tracasseries. Je me fais alors copieusement engueuler par les chirurgiens détracteurs de la chirurgie robotique – ils ont l’air d’être particulièrement nombreux en Allemagne ! « Mes patients se foutent de la cosmétique, madame ! Ce qu’ils veulent, c’est que je leur sauve la vie, qu’ils aient une petite cicatrice ou une grande balafre leur importe peu". Et il énonce : « Ce que vous faites là, c’est peine d’amour perdue! » en me lançant une œillade définitive, fin de non recevoir à ma déclaration d’amour intransitif.

Dans l’amphithéâtre où est retransmis en live un cas de chirurgie robotique en digestif, c’est presque l’émeute. Le public de la salle, composé de chirurgiens allemands pour la majorité, lance sur un ton excédé : « Ce qu’on nous montre ici va à l’encontre des règles de la chirurgie traditionnelle ! ». Le chirurgien qui pratique le cas digestif en live sur un patient si corpulent qu’à l’écran du système de chirurgie robotique, on est en plein fog londonien, face à ces assauts répétés, finit par accuser un très léger tremblement de la main et du sang jaillit soudain dans le fog londonien. Exclamations consternées du public : « Oohhh !!!».

Une chirurgienne renommée est en retard pour la session de démonstration et le training sur le système. Elle a pourtant requis cette formation auprès du Directeur de la Formation qui travaille pour la société de chirurgie robotique. Celui-ci est également un chirurgien chevronné. Au bout d’une heure d’attente, elle arrive en trombe et écarte d’un geste de la main les tentatives d’explications à peine amorcées par son collègue formateur. « - Pas le temps ! Je trouverai bien. C’est censé être intuitif, votre système de chirurgie robotique, non ? C’est ce qui est écrit dessus, on va voir si c’est vrai ». S’emparant des « joysticks », elle tranche alors d’un geste sec et définitif l’aorte du malheureux Henry qui servait de terrain d’essai.

Ah oui, il faut que je vous présente Henry : dans les laboratoires pharmaceutiques et autres sociétés qui fabriquent et commercialisent du matériel médical et chirurgical, on utilise une périphrase pour désigner les corps sans vie qui servent de terrain d'essai. On ne parle pas plus de cadavre que de la corde du pendu. Dans ma société, on dit un Henry pour désigner la personne dont on respecte une des dernières volontés : que son corps, une fois mort, serve aux expérimentations pour faire avancer la science.

[1] (N.d.t. : Q= quarter= trimestre)

Des chirurgiens et des robots (suite)


Octobre 2002, Ecole Européenne de Chirurgie, Paris.

Je dois assister à un workshop, en langage ROW cela signifie un atelier : il s’agit de faire des essais de clampage de l‘aorte, toujours avec l’aide de la chirurgie robotique, également appelée téléchirurgie ou encore chirurgie assistée par ordinateur. Si l’on parvenait à clamper l’aorte, cela permettrait d’éviter de courir le risque d’endommager, par exemple, les artères coronaires que l’on tente de revasculariser au moyen d’un stent, sorte de petit ressort que le cardiologue place dans l’artère pour la maintenir ouverte et éviter la re-sténose, c’est-à-dire une nouvelle obturation de l’artère.

Pour positionner ce stent dans l’artère, il faut placer un introducteur, puis un cathéter guide, le guide étant constitué d’un fil de fer. Le cardiologue introduit par cette voie un minuscule ballon. Lorsqu’il gonfle précautionneusement ce ballon, le stent, sorte de petit ressort, va se positionner pour maintenir l’artère ouverte. Ce procédé, bien que courant, est délicat, puisqu’il nécessite une introduction par voie veineuse. De même, le processus d’implantation d’un pacemaker nécessite une introduction par voie veineuse, pour le fil conducteur ou sonde d’entraînement (heureusement le boîtier du pacemaker n’est pas introduit par voie veineuse !)

Voici des informations sur les nouveaux stents : L'Express du 30/05/2005
Santé : Du ressort pour les artères

par Vincent Olivier

Implantés dans les vaisseaux obstrués, les nouveaux stents limitent le nombre de réinterventions chirurgicales

C'est un drôle de petit ressort, de quelques millimètres à peine. Son nom: le stent. Son champ thérapeutique: les maladies coronaires, qui entraînent près de 45 000 décès par an rien qu'en France. Son rôle: dilater un vaisseau obstrué. Son intérêt: éviter une intervention chirurgicale lourde, un pontage artériel par exemple. Mon tout donne un succès impressionnant puisqu'on implante, chaque année, plus d'un million de stents dans le monde. Et ce, même si une deuxième intervention s'avère nécessaire dans 20, voire 30% des cas.


A l'occasion d'un congrès scientifique qui s'est déroulé à Paris la semaine dernière, les médecins ont fait le point sur une nouvelle génération de stents, dits «enrobés». Arrivés sur le marché il y a quatre ans, ces ressorts sont recouverts d'un polymère dans lequel on a incorporé un principe actif issu de la recherche sur le cancer, le paclitaxel. Celui-ci se diffuse très lentement dans l'organisme et bloque l'épaississement de la paroi des artères. Ainsi, ces dernières se rebouchent beaucoup moins vite et le pourcentage de réintervention diminue considérablement: de 17,5 à 5,5%, selon une étude menée auprès de 4 000 patients et qui a été rendue publique lors du congrès. Pour le Pr Jean-Marc Lalande, chef du service d'angioplastie coronaire au CHU de Lille, pas de doute: malgré un coût (1 600 € pièce) quatre fois plus important que pour les stents classiques, les stents enrobés constituent bien «la voie de l'avenir».


Voir ici pour des informations complémentaires.

Autant de domaines de recherche pour la chirurgie «robotique» ou «assistée par ordinateur» : un système de clampage de l’aorte permettrait d’éviter la procédure du stent dans certains cas. Mais tout ceci est encore à l’essai : actuellement, les sociétés qui fabriquent les nouveaux stents marchent fort : Boston Scientific, par exemple, a fait un chiffre d'affaires de 5,6 milliards de dollars en 2004.

Sur le chemin du retour, en quittant l’atelier de clampage de l’aorte sur Henry, (en fait il y avait deux Henry : un homme et une femme), j’appelle les médecins et chirurgiens de ma famille : je ne suis pas peu fière de ce que je viens de voir et, surtout… je ne me suis pas évanouie à la vue des Henry’s disséqués, éventrés. Je peux donc témoigner du respect constant avec lequel les chirurgiens ont pratiqué leurs expérimentations sur ces corps sans vie.

Dans le métro, je revis mon deuxième jour au sein de cette start-up américaine : mon boss, le Directeur Commercial France- Benelux, qui parle anglais aussi bien que notre voisin le fermier à notre maison de campagne familiale située dans un hameau des Pyrénées, me dit : "Vous parlez l’allemand ? Ca tombe bien ! Il faut traduire en allemand le communiqué de presse qui vient de sortir, concernant la 1ère à cœur battant faite au CHU de Nancy !»
Devant mon air ébahi (l’introduction à ma thèse d’allemand portait sur Thomas Mann, «la Mort à Venise», cela ne m’aide pas précisément pour comprendre ce qui se joue ici, quoi que…), il se frappe la poitrine en faisant : «A cœur battant, boum, boum, boum»…L’air du bureau s’emplit alors de mots exotiques et anglais : «CABG = Coronary Artery Bypass Graft», «TECAB = Totally Endoscopic Coronary Artery Bypass», et les choses se compliquent encore (si c’était possible !!!) : on parle de «BH TECAB = beating heart TECAB», ce dernier terme désignant la même opération, mais à cœur battant : boum, boum, boum…

Quel est l’avantage pour un chirurgien cardiaque d’opérer à cœur battant ? C’est simple : cela évite de pratiquer une thoracotomie sur le patient, en écartant ses côtes. Le geste chirurgical se fait donc en mini invasif, c’est-à-dire que le patient, à son réveil, souffre bien moins et récupère plus vite. Et cela évite de pratiquer la circulation extracorporelle (la CEC) lors de l’opération, c’est-à-dire de devoir arrêter le cœur du patient pour pouvoir l’opérer.

Je ne sais pas si vous avez déjà assisté à une opération pendant laquelle la thoracotomie et la CEC sont pratiquées sur le patient, mais je peux vous dire que c’est assez violent !! Là encore, j’étais fière de ne pas avoir tourné de l’œil (je pense toujours à mes études : «La Mort à Venise», de Thomas Mann).

Encore une considération linguistique : ma collègue du Marketing m’accueille un matin en brandissant victorieusement un CD : «- Ca y est, on l’a !» : la couverture du CD montre un chirurgien assis à la console du da Vinci ™ tandis que figurent la phrase (en anglais, la langue de la technologie, et non en français, une des nombreuses sous langue ROW) : «Enfin ! La prostatectomie radicale endoscopique sans les limites de la chirurgie laparoscopique» et les noms de quatre sommités médicales de cliniques et hôpitaux français et allemands. La couverture du CD annonce qu’on va voir ces sommités opérer aux commandes du système. Une des vidéos du CD montre un chef de service urologue français renommé. Ses gestes sont d’une précision inouïe. Le processus de la prostatectomie radicale aux commandes du système da Vinci™ est expliquée en détail par le chirurgien qui opère, tandis que l’on voit le résultat des gestes à la console se matérialiser par l’action des instruments dans le corps du patient. Le chirurgien parle en anglais, aussi bien que notre voisin le fermier à notre maison de campagne (je ne vais pas vous la refaire). Cela donne : iou ték ze ouk (you take the hook, vous prenez le crochet) end wiz ze ouk, etc. etc, pendant un bon quart d’heure. Visiblement, il y a un décalage entre le professionnalisme abouti du film, la qualité parfaite du geste chirurgical, et la voix qui explique, rassemblant péniblement 50 mots d’anglais appris en SOS avec la méthode Assimil une semaine plus tôt (ou au lycée il y a 40 ans, ou un souvenir du dessin animé Disney Peter Pan, avec le Capitaine Crochet ?)

Les Américains ont dû partir du principe qu’en tout état de cause, on ne trouverait aucun chirurgien français utilisateur du système qui parle anglais (faux !!) et qu’il ne servirait à rien de doubler le malheureux qui parle anglais sous la torture, pas celle du patient, heureusement ! (faux !! Le décalage entre le son et l’image donne l’impression d’une mauvaise farce). Les Américains ont-ils voulu faire un Tex Avery à la Française ? Mais non, je suis bête : les Américains veulent faire du business.

Une des Chargé(e)s de Comptes de l’équipe des commerciaux en Allemagne, m’appelle pour me renseigner sur les cas (= les opérations) effectués cette semaine sur son «territoire» (= les hôpitaux qui constituent ses comptes). Et elle est actuellement en train d’aider pour un cas en pédiatrie à l’hôpital d’AAAAAAAAAAAAAHHHHHHH ! J’entends en bruit de fond, puis très vite en bruit principal un formidable hurlement – je finis par comprendre qu’il provient justement du chirurgien pédiatrique qui fait le cas en question : le chir est sorti en trombe du bloc et libère son stress à pleins poumons. Je crois que finalement, il vaut mieux que je retourne me coller à Business Abject. Après avoir raccroché, je souhaite mentalement bon courage à la Chargée de Comptes pour le cas de chirurgie robotique pédiatrique à (ooops, quel hôpital, au fait ?)

Zut, pour ne pas changer, le téléphone sonne pendant mon quart d’heure de pause déjeuner, il n’y a personne d’autre que moi pour répondre et j’ai la bouche pleine. Une voix fraîche, à l’accent très british, annonce :
«-Bonjour, ici Shirley, assistante de production. Je vous appelle du studio de production du prochain James Bond, à Londres». Tiens, la dernière fois, sur le même thème, j’ai eu comme interlocutrice une certaine Bridget, et avant encore – je ne sais plus. Nous allons devoir changer de date pour la mise à disposition par votre société du système de chirurgie robotique da Vinci™ dans nos studios pour le tournage de «Meurs un autre jour» («Die another day»). Encore !! Bien sûr : la logistique pour le dernier James Bond est aussi complexe que celle requise pour les chirurgiens. Bref, c’est ainsi que vous avez pu voir pendant une minute le système da Vinci™ dans le dernier James Bond. Son rôle : scanner des pieds à la tête le vrai, l’unique James Bond pour s’assurer qu’on n’a pas affaire à un imposteur. Mission accomplie ! Bien sûr, dans la réalité, ce n’est pas du tout ce que fait le système : il fait des opérations endoscopiques sur organes mous et creux - la neurochirurgie et l’orthopédie sont donc exclues de ses champs d’activité, je le signale au passage - mais que ne ferait-on pas pour James !

Aujourd’hui c’est lundi, jour du conference call. Comme d’hab., on fait le point sur les cas effectués en Europe la semaine écoulée, sur ceux qui doivent avoir lieu cette semaine, sur le business avec nos distributeurs (Italie, Arabie Saoudite, Suisse, Canada). On est entre nous (je veux dire : entre Européens), nous avons même le soleil de l’Italie en ligne, et les américains de la maison mère se joindront au conference call plus tard. Un des chargés de comptes (appelés aussi Clinical Specialists en interne) se joint à nous alors qu’il assiste à un cas qui n’est pas encore terminé. Il raconte : «-c’est un cas en chirurgie cardiaque. On a été obligés de convertir parce que le stabilisateur est parti en couille dans le corps du patient.» Je suis relativement nouvelle et toujours aussi béotienne en chirurgie cardiaque (rassurez-vous, je le suis restée !) Je ne comprends donc pas toutes les implications de ce récit. Mon boss, lui, les comprend très bien. Il devient blanc. Bon, je vous explique : «convertir», cela veut dire qu’on est obligé d’arrêter le système de chirurgie assistée par ordinateur pour revenir à un cas en chirurgie traditionnelle. On va donc opérer «à ciel ouvert» : c’est-à-dire pratiquer une thoracotomie et continuer l’intervention non plus en chirurgie endoscopique mini invasive, mais en chirurgie invasive traditionnelle. Il y a différentes raisons à cette «conversion» (cela peut venir de l’anatomie propre au patient, d’un conflit détecté par le système…) Quelle que soit la raison, elle est sans danger aucun et la «conversion» (le fait de «débrancher le système» et d’être à même de reprendre en chirurgie traditionnelle exactement là où on en était) prend moins d’une minute. Je comprends donc que le danger ne vient pas de la «conversion».
Le stabilisateur est un instrument utilisé dans les procédures de chirurgie cardiaque à cœur battant, donc toujours dans le contexte de chirurgie endoscopique assistée par ordinateur. Il est un peu comme une grande pince qui maintient le cœur qui continue à battre. Sauf que là, la pince s’est cassée en petits morceaux et se trouve dans le corps du patient, dans la région cardiaque. Le chirurgien doit extraire avec patience et minutie ces morceaux les uns après les autres, sans causer aucun dommage. Là, j’ai fini par comprendre le danger.

«-C’est comme recevoir une balle en plein cœur !» s’exclame mon boss, qui cette fois-ci a viré au rouge écarlate.

Notre spécialiste clinique nous entretient de la progression de ce cas. Il nous passe même quelques instants le chirurgien, qui nous explique sa progression dans l’extraction des morceaux du stabilisateur. Tout va bien, le patient est tiré d’affaire et l’opération a réussi. Jamais le chirurgien ne s’est départi de son calme olympien. Mais je commence à comprendre les hurlements du chirurgien pédiatrique allemand pour évacuer son stress.